Une forte odeur d'essence se dégageait depuis le passage de la voiture. Elle était en si mauvais état qu'il avait été impossible d'en deviner la couleur d'origine. Une véritable épave à demi rouillée dont une fumée noire sortait du pot d'échappement et dont le réservoir fuyait probablement à en juger l'odeur qui en émanait.
La rue était quasiment déserte depuis ce passage, et la nuit de faisait de plus en plus noire.Elle était là, debout au milieu du trottoir, les jambes à peine recouvertes d'une paire de collants noirs troués à la cheville droite et filés en haut de la cuisse gauche. C'était sa dernière paire et elle n'avait plus d'argent pour en acheter de nouveaux. Sa jupe, beaucoup trop courte, se soulevait légèrement à chaque coup de vent et sa veste n'était pas assez épaisse pour lui tenir chaud. Ses doigts au vernis écaillé étaient agrippés à la lanière en imitation cuir de son petit sac à main. À l'intérieur, une bombe lacrymogène et deux ou trois bricoles qui lui serviraient avec des clients.
Elle attendait. Elle attendait qu'un homme avide d'assouvir ses besoins l'approche. Cela la dégoûtait mais elle n'avait pas le choix. L'argent qu'elle se faisait ainsi lui permettait de payer la minuscule chambre mansardée du dernier étage de l'immeuble le plus délabré de la rue à une propriétaire raciste et aigrie qui lui faisait payer l'habitat plus cher qu'il ne valait. Mais elle ne pouvait protester, elle avait déjà la chance d'avoir obtenu cette chambre, elle, la petite roumaine arrivée en France en auto-stop.
Elle regrettait trop souvent d'être partie. Même si elle avait enfin quitté le taudis dans lequel elle vivait avec sa mère, sans revenu, et ses cinq frères et sœurs qui étaient payés une misère. Même si elle avait échappé à celui qui hantait encore ses jours et ses nuits. Ce type infâme qui lui avait tout pris. L'innocence, la virginité et l'avenir. Il n'avait fallu qu'une seule nuit pour qu'elle se sente salie à jamais. Sa famille n'avait jamais eu vent de ce qui lui était arrivé. Elle avait simplement dit qu'elle partait pour gagner plus d'argent et leur en envoyer. Elle les appelait rarement et ne leur avait jamais parlé de ses activités nocturnes. Elle était seule. Très seule. Désormais, la rue était sa maison, le clochard de la pharmacie son ami et l'abri-bus son canapé.
Elle passa une main dans ses cheveux emmêlés alors qu'une seconde voiture traversait la rue. Son maquillage commençait à couler et elle était épuisée. Elle n'avait pas eu de client depuis le début de la soirée et elle se surpris à espérer que l'horrible homme chauve qui était passé la semaine précédente revienne. En réalité, sa seule motivation était l'argent. Le mois touchait à sa fin et elle n'avait pas encore réuni la somme qui lui permettrait de payer son loyer et d'envoyer une maigre somme à sa famille en Roumanie. Elle était désespérée.
Lassée d'attendre debout, elle s'était assise sur le banc en métal humide de l'abri-bus. Elle n'avait qu'une envie : pleurer. Même rentrer chez elle ne lui traversait pas l'esprit. Sa famille était trop fière d'elle pour qu'elle laisse tomber. Et surtout, il n'était pas en France. Plusieurs fois, elle avait voulu mourir après qu'un client ait été violent avec elle et de fines lignes roses sur ses poignets et ses cuisses pouvaient en témoigner. Elle en avait vu des hommes défiler sous son toit, et rares étaient ceux qui prennaient soin d'elle. Elle n'était qu'un objet. Et malgré le temps, elle ne s'y était pas faite. Elle faisait cela depuis un, deux, trois ans tout au plus. Elle ne se rappelait plus. La seule chose dont elle parvenait à se souvenir était le dégoût qu'elle ressentait à chaque fois qu'un client quittait sa chambre.
La nuit était son amie depuis si longtemps maintenant. Elle pensait à sa famille en regardant la lune. La seule qui ne puisse comprendre le calvaire quotidien qu'elle vivait. La seule qui l'avait suivie depuis la Roumanie outre ses démons qui la hantaient. Elle avait donné à la lune la seule chose qui lui restait. L'amour.
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Se lo dieron a la luna
Short StoryElle n'a rien d'autre à offrir qu'une nuit. Il n'a rien d'autre qu'un carton et une vieille couverture. Il n'a rien d'autre à faire que de recaler. Il n'a rien d'autre à perdre que la vie. Une nuit. Une rue. Quatre histoires. trigger warning: suicide