La lumière rouge des néons de la devanture de la boîte de nuit tranchait avec le noir de la nuit et se reflétait dans les flaques de pluie. Les basses qui s'en échappaient fendaient l'air silencieux et froid qui enveloppait la rue.
Il était là, debout, droit comme un piquet, les mains derrière le dos et un air sévère affiché sur le visage. C'était son visage de la nuit. Celui qui faisait peur aux rigolos qui essayaient de frauder pour entrer dans la boîte de nuit. Son uniforme aussi sombre que la nuit lui donnait un air d'armoire à glace, accentué par ses épaules carrées.
Il travaillait. Il était depuis peu, videur de cette boîte de nuit peu fréquentée vers le périphérique de la ville. Et il en avait vu passer des gens qui voulaient profiter de leur jeunesse. Lui aussi l'aurait voulu. Mais on l'a poussé dans l'âge adulte un peu trop vite.
Les erreurs de jeunesse, tout le monde en a connu. Mais la sienne la poursuit encore et encore. Il avait suffit d'une fois avec la fille de son voisin pour qu'il doive assumer des choix d'adulte. À dix-sept ans. Il en avait vingt-et-un maintenant et un fils à élever. Il avait dû laisser de côté tous ses rêves pour travailler. Il travaillait comme caissier à la supérette du coin le jour et comme videur la nuit. Et les seuls moments où il ne travaillait pas, il restait avec son fils. La chair de sa chair. Il faisait tout son possible pour joindre les deux bouts. Être deux parents à la fois.
Il était resté avec cette fille, prêt à assumer les conséquences de ses erreurs de jeunesse. Elle avait pris la porte peu après avoir accouché. Il ne l'avait plus jamais vue. Et son fils grandissait sans sa mère et avec un père qui travaillait beaucoup trop. Il se tuait au travail pour offrir tout ce qu'il avait à son fils. Il voulait qu'il ait une belle vie, meilleure que la sienne. Il voulait lui donner tout ce pourquoi il avait abandonné ses rêves.
Plus jeune, il était plein d'ambition, de rêves et de désirs. Il voulait faire des études, aller à des soirées étudiantes avec ses amis et ensuite avoir un bon métier et une famille. Malheureusement, il avait laissé tomber les études, ses soirées se résumaient à recaler ceux qui veulent s'amuser et il avait déjà un fils. Parfois il regrettait d'avoir abandonné ses études et ses amis. Il n'y avait plus que lui et son fils. Il se disait souvent qu'il aimerait reprendre des études tant qu'il est encore temps mais la question de l'argent revenait systématiquement lui briser ses envies. Il enviait l'étudiant qui vivait dans l'immeuble en face de la boîte de nuit. Il le voyait étudier toutes les nuits jusqu'à tard. Il avait été ce genre de personne auparavant.
Il ne regrettait pas son fils. Il ne pouvait pas. Il n'y arrivait pas. Il regrettait seulement d'être resté pour une fille qui n'en vallait pas la peine.Et chaque nuit, il n'avait qu'une hâte : rentrer chez lui et retrouver son fils. Il se tuait au travail et dès qu'il rentrait chez lui, il savait pour qui il faisait cela. Son fils était la prunelle de ses yeux. Il ne pouvait pas le laisser tomber. Il s'était même fait la promesse d'être là pour lui jusqu'à son dernier souffle.
Dans la nuit, il pensait à son fils, à son avenir qu'il avait perdu et à celui qu'il voulait construire. Il se tuait à la tâche et il n'était pas le seul à le savoir. La lune aussi savait. Elle comprenait car il lui avait remis son futur entre les mains.
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Se lo dieron a la luna
Short StoryElle n'a rien d'autre à offrir qu'une nuit. Il n'a rien d'autre qu'un carton et une vieille couverture. Il n'a rien d'autre à faire que de recaler. Il n'a rien d'autre à perdre que la vie. Une nuit. Une rue. Quatre histoires. trigger warning: suicide