Mercredi 17 Décembre 2/2

14 5 4
                                    

Nathan avançait vers son destin.

Alice.

À peine cinquante mètres le séparaient d'elle, pourtant chaque pas semblait l'en éloigner, comme un changement de focale d'un plan de cinéma. Il évoluait dans sa bulle fantasmagorique : en dépit des éclats de voix et du brouhaha autour de lui, sa mémoire auditive se mit à jouer l'ouverture de 2001 l'Odyssée de l'Espace. Il priait juste pour que sa prestation ne soit pas semblable à celle des singes. Les phrases d'accroche qu'il s'était répété toute la nuit s'envolaient les unes après les autres, au rythme d'une par mètre.

Si bien qu'en arrivant derrière Alice, il s'arrêta, les bras ballants, sans qu'un son ne sorte de sa bouche. Ainsi Parlait Zarathoustra de Richard Strauss s'était maintenant tu et ne régnait plus qu'un immense silence dans sa tête.

Alice ne s'était aperçue de rien et continuait à discuter avec son amie, une petite brune un peu ronde aux cheveux bouclés. Cette dernière interrompit brutalement sa conversation et désigna Nathan du menton. Surprise au premier abord, la Terminale L grelottante afficha un immense sourire et lui adressa quelques mots qu'il n'entendit pas. La brune gloussa de la situation et claqua des doigts devant les yeux vides de l'adolescent qui ne réagissait pas. Alice lui intima de se taire. Elle reposa la même question à Nathan, tout en posant la main sur son bras.

Un arc électrique partit depuis le bout des doigts de la jeune femme et s'en alla réveiller les synapses de l'amoureux muet. La bulle de silence éclata et tous les sons de la cour fumeurs explosèrent dans ses oreilles à un volume anormalement élevé.

— Hein ?

— Je peux t'aider ? répéta encore une fois Alice, sans se départir de son sourire.

Comment une fille avec un sourire aussi joli pouvait-elle être la « pétasse » imaginée par Morgane ? Cette gentillesse amusée transcenda l'état catatonique dans lequel s'était réfugié le cerveau de Nathan, et il réussit à articuler ses premiers mots.

— Tu fais quoi vendredi soir ?

Il s'entendit parler, et réalisa la brutalité de sa question. Rien ne se passait comme prévu : de tous les scénarios qu'il s'était fabriqué pour gérer l'événement du jour, aucun ne commençait de la sorte. La folle envie de partir en courant pour se taper la tête contre un poteau du préau se présenta en option viable pour gérer la situation. Il choisit pourtant de ne pas écouter ses jambes en coton et s'empressa de rectifier le tir avant qu'elle ne parle :

— Je veux dire, tu vas au ciné ? Vendredi soir ? Euh, non. Ce que je veux dire, c'est euh...

— Oui ?

Alice se montrait encourageante. Ou alors était-elle simplement surprise ? Nathan n'arrivait plus à analyser la situation objectivement : le contrôle de sa vessie et de sa transpiration s'inscrivait désormais en haut sur la liste des urgences à gérer.

— T'es conne ou quoi ? intervint l'amie toujours amusée de cette situation irréelle. Il te demande si tu veux sortir avec lui vendredi soir !

— C'est bon, Sabrina ! J'ai compris !

— Voilà... Euh... Si t'as rien de prévu... je me disais...

— Hum... C'est gentil, euh...

— Nathan ! Moi, c'est Nathan. Comme les jeux intelligents...

Il aurait voulu se donner des claques. Sa tentative d'humour eut un effet dramatique sur le sourire de sa dulcinée.

— C'est gentil, Nathan. Mais euh... vendredi soir... J'ai de la famille qui vient. Je dois être chez moi. Les vacances, Noël, tout ça...

— Ah... Nan, mais c'est pas grave, hein ! (Il s'efforça d'afficher une expression détachée.) Une autre fois, peut-être ?

Sabrina peinait à contenir sa crise de fou rire. Alice semblait maintenant gênée par la situation, malgré son sourire feint.

— Oui, c'est ça. Une autre fois.

— Bon... Euh... J'y vais alors.

La bulle de silence se referma aussitôt sur lui. Les yeux bleus d'Alice continuaient de le fixer, le raccrochant encore à ce refus poli.

« Aie l'air cool ! » se répétait-il comme un mantra pour essayer de quitter les lieux avec un reste de dignité.

Deux petits pas en arrière. Puis une retraite forcée, rapide et sans se retourner. Il ne voulait pas assumer la honte de cet échec auprès de ses amis. Il préféra fuir vers le bâtiment A. Du coin de l'œil, il aperçut Elké se lever et se diriger vers lui. Lex et Cyrille riaient. Morgane se tenait à l'écart d'eux et le regardait d'un air qu'il ne prit pas le temps de déchiffrer.

Il voulait rester seul.

Teenage RiotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant