Je me souviendrai toute ma vie de la fois où je l'ai vu pleurer. C'était un soir, vers la fin de l'automne. Le soleil se couchait, jetant désespérément ses derniers rayons sur le monde qui était le notre. On était assis dans un parc désert, à même le sol, face à face, entre les feuilles mortes et les noisettes. Lui en tailleur, moi les genoux repliés sous mon menton. Je lui parlais, mais il ne m'écoutait pas, ou alors il ne m'entendait pas. Ses yeux me fixaient, mais il ne semblait pas me voir. Le vent agitait ses cheveux, et il repoussait de temps en temps la mèche rebelle qui lui tombait sur le front. Une balançoire grinçait. Et puis, sans crier garde, ses yeux se sont mis à briller et une larme a coulé sur sa joue. Une unique larme de désespoir, qui a roulé sur sa joue avant de tomber sur le sol. Puis une autre a suivi, et encore une autre. Elles ont tracé une multitude de chemins sur son visage d'ange. Il n'a pas bougé, n'a pas fait un geste pour les retenir. Je ne savais pas quoi faire, ni quoi dire. J'ai levé la main pour essuyer ses larmes, mais il a détourné la tête. Il a cligné des yeux à plusieurs reprises, et c'était déjà fini. La brise s'est mise à souffler plus fort et n'a pas tardé à effacer de la vue de tous les traces de sa faiblesse. Mais rien ne me fera oublier la lame qui a transpercé mon cœur ce jour-là, aussi froide qu'un premier jour d'hiver.
Il a disparut quelques semaines plus tard, juste avant Noël. Un matin, il n'était plus là, lui qui ne loupait jamais les cours, et il n'est pas revenu de la semaine. On a tenté de l'appeler, mais son téléphone était éteint. Alors on a questionné sa mère, mais elle a juré l'avoir vu partir pour aller en cours le matin même. On a retrouvé son sac de cours à l'entrée du jardin, vers le portail, partiellement recouvert par la neige qui tombait à gros flocons. Personne ne savait où il était parti. La neige avait recouvert la ville d'un épais manteau cotonneux, effaçant toutes traces pouvant nous mener à lui et le froid avait découragé les quelques courageux qui avaient persévéré dans leurs recherches. C'est à ce moment seulement qu'on se rendit compte à quel point on le connaissait mal, à quel point il était resté froid et distant. Rien ne nous permettait de savoir ce qui lui était passé par la tête.
Les semaines passèrent, et bientôt on l'oublia. Ce ne fut qu'au printemps, lorsque la neige eut fondue, qu'un promeneur retrouva les restes de son corps, au fin fond de la forêt.
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Chaos
RandomRassemblement de tous ce qui me passe par la tête, de longueur variable (poèmes, nouvelles, textes libres...). Style en général plutôt sombre ✒🖤