Psychologue nocturne

Une première nuit

Ce jour-là, la voute céleste avait gâté la petite ville. Des milliers d'astres scintillaient dans un ciel bleu marine tandis qu'Axel montait la colline, une couverture rapiécée sous le bras. Sa soirée était toute tracée. Observer les étoiles jusqu'à en oublier qui il était.

Il adorait se perdre dans l'immensité du ciel, il trouvait cela effrayant et excitant à la fois. Il se mettait souvent presque à pleurer. Cela l'émouvait de savoir que chaque humain de cette terre regardait les mêmes étoiles.

Il ne savait pas vraiment pourquoi il était le seul à y être le plus sensible. Surtout que les gens le catégorisaient comme le cœur de pierre. Il n'avait pas pleuré à la fin de son école primaire, recalait chacune des filles qui s'intéressait à lui, et n'aidait pas les braves gens qui tombaient dans la rue.

On ne pouvait pas le changer, il était comme ça, Axel.
Mais ce jour-là une chance de ne plus être le cœur de pierre se présenta.

Il était allongé depuis une douzaine de minutes quand il avait entendu du bruit. Un essoufflement, des râles bruyants et le bruit de brindilles qui craquent. Quelqu'un avait brisé la bulle de calme d'Axel, et il détestait déjà cette personne. Axel soupira et ferma les yeux, pour tenter d'ignorer le nouvel arrivant.

Malheureusement, l'inconnu avait des autres projets. L'herbe bruissa juste à côté de lui, et un bruit sourd lui indiqua l'affalement de son compagnon sur le sol.

Axel se décala légèrement, un peu gêné par le contact de leurs jambes.

-Je m'appelle Elia.

Une fille.

Axel ne répondit rien, qu'est ce qu'il pourrait en avoir à faire, de son prénom ?

-Tu es muet ? Sourd ?

Axel continua de l'ignorer, les yeux fermés.

-Tu n'es pas endormi, quand même ?

Elle passa une main dans son cou, geste auquel Axel répondit par un cri indigné. Ses yeux s'ouvrirent brusquement.

-AH. Donc tu n'es ni sourd, ni muet, ni endormi.

La fille était plutôt jolie. Des cheveux auburn, des yeux de la même couleur, une poignée de tâches de rousseur, et de jolies formes rondes.

-Mais qu'est-ce que tu veux ?

-Juste parler.

-On ne se connaît pas.

-Mais tu es vachement asocial, ma parole ! Je vais pas te kidnapper !

Axel ricana.

-Tu as de l'humour, au moins.

-Pourquoi tu es venue ici ?

-Pour...je sais pas. Observer les étoiles ? Rencontrer des beaux gosses ?

Axel faillit s'étouffer avec sa salive.

-Quoi ?

-J'ai bu quelques bières, c'est pour ça que j'ose te dire ça.

-Tout s'explique, se moqua Axel.

-Je t'aime bien, mais je connais pas ton prénom.

-Axel.

-C'est beau Axel.

Le jeune homme commençait à trouver cette fille un peu bizarre, mais tout de même chouette. Leur échange était léger et sans prise de tête, et dieu qu'est ce que ça faisait du bien !

Un silence suivit sa remarque, durant lequel Axel oublia presque la présence d'Elia.

-Tu veux bien devenir mon psy ?

Axel se redressa en prenant appui sur ses mains.

-Mais c'est quoi, cette demande ?

-Sous tes airs de blasé, tu as l'air de savoir écouter les autres. Et ils se trouvent que j'ai trop de pensées en tête. J'ai tout essayé. La musique, le dessin, l'écriture. Mes pensées tournent  incessamment dans ma tête, et j'ai un besoin immense d'extérioriser. Donc. je répète ma question. Pour une semaine ou plus, peux-tu être mon psy? A la même heure.

Axel était ébahi.

-Il est 23 heures. Tu as envie de passer tes prochaines soirées avec un nul comme moi ?

-Bah oui. Si je te le demande.

-Je serai une sorte de psychologue nocturne, alors ?

-Exact. Tu aideras mon âme à se libérer.

-C'est l'alcool qui parle, ou c'est toi ?

-J'en sais absolument rien. Peut être que je n'ose pas poser cette question quand je suis normale, mais qu'elle me trotte dans la tête sans cesse.

-Ok.

Silence.

-Tu sais que les gens me surnomment Cœur de pierre.

-Je te connais depuis cinq minutes, pourtant je suis convaincue que tu m' écouteras mieux que personne.

-Je ne suis pas bon orateur. Je suis plutôt mathématique, comme gars.

-J'aurais dit peintre.

Axel tressaillit.

-J'ai fait de la peinture quand j'étais petit.

-Tu vois, j'ai toujours raison.

Axel ne répondit rien, sous le choc. Comment avait-elle su ? Comment ?

Avant qu'il puisse poser plus de questions, elle sauta sur ses pieds, et dévala le flanc de la colline.

-A demain, même heure, Axel le peintre !

Longtemps après, Axel resta couché sous les étoiles.

Il réfléchissait. Cette fille, Elia, était peut-être sa chance pour devenir sensible ?

Peut-être qu'il allait enfin changer, comme chacun attendait.

Peut-être, peut-être, peut-être.

Axel se noya dans les étoiles, les pensées en vrac.
Il allait revenir demain, c'était sur.

Cette Elia lui avait fait confiance, et, étrangement, il ne voulait pas l'abandonner. Quelque chose dans sa voix était désespéré.

Elle n'avait personne pour se confier, alors il serait là.

Il sourit tout seul, dans le noir.

Il s'était surpris à vouloir être demain.