La Dame des Ombres

Chapitre 1

Les gardes étaient à leur poste. Ils bordaient le chemin qui menait à la salle du trône avec une régularité sans faille. C'était à se demander si quelqu'un n'avait pas utilisé un mètre pour les placer. Leur comportement était sans doute autant motivé par la loyauté que par la peur. Ils n'avaient pas envie de se faire réprimander par leurs supérieurs. Ceux-ci étaient réputés pour ne pas être commodes. C'était même l'inverse. On ne devenait pas une des forces les plus craintes du monde des Fays en ayant un cœur tendre.

C'est ainsi qu'ils se raidirent un peu plus lorsqu'un être qui devait facilement approcher les deux mètres passa devant eux. Il portait une cape courte noire, dont la capuche cachait ses traits. En-dessous, une longue tunique de la même teinte était ceinte d'une grosse ceinture en cuir foncé. Le fourreau d'une épée y était accroché mais tout le monde savait qu'il gardait cette arme juste pour le décorum : il n'en avait pas besoin. Sa tenue était complétée par un simple pantalon en toile sombre et des bottes souples.

La silhouette ne prit pas le temps d'admirer les magnifiques colonnades de la promenade intérieure de l'ancienne abbaye qu'ils avaient investie. L'endroit était rustique et spartiate. Cela ne posait pas de problème particulier : ils ne s'y étaient pas installés pour le confort et ils en partiraient bientôt. De toute façon, la moitié des bâtisses étaient en ruine.

Sans faire attention aux autres, l'être avança jusqu'à une immense porte. Elle semblait avoir plusieurs siècles. Il dut utiliser ses deux mains pour pousser les lourds battants. Ceux-ci grincèrent bruyamment. Il avança à l'intérieur. La pièce dans laquelle il entra avait été la salle où les moines prenaient leur repas quelques siècles plus tôt. Mais la longue table rectangulaire massive ainsi que les bancs avaient été retirés et qu'à la place, on avait disposé un tapis au bout duquel se dressait ce qui ressemblait à un trône.

Il y avait du monde, il n'était pas seul. Pour autant, ils étaient tous silencieux, droits sur leurs jambes. La plupart portait de longues capes dont les couleurs étaient sombres. Le tissu de leurs vêtements paraissait coûteux : il n'était pas difficile de deviner qu'ils étaient riches et leur port de tête prouvait qu'ils avaient l'habitude d'être obéis. Un vrai spectacle bien chorégraphié. Toutefois, ce n'était pas le plus intéressant.

Celle qui captivait le regard était sans nulle doute la femme qui était assise sur le trône. La Dame des Ombres tenait l'assemblée par sa seule présence.

C'était sans nul doute un être unique d'une taille supérieure à la moyenne puisqu'elle devait faire un peu plus d'un mètre quatre-vingt. Ses cheveux n'étaient pas vraiment des cheveux. Ils étaient plutôt une sorte de fumée, un nuage d'un noir profond qui flottait autour de sa tête et bougeait sans but. Sa peau était tout aussi sombre, parsemée ici et là de points argentés. Cela ne rendait ses yeux, dont les iris étaient semblables à deux disques d'or liquide, que plus saisissants par contraste. Ses traits étaient nobles et donnaient du relief à son expression hautaine.

Elle était terrifiante. Et belle. Terriblement belle. A l'image d'une déesse vengeresse et cruelle. Surtout cruelle. Personne n'avait envie de la contrarier. Ceux qui le faisaient n'avaient, en général, pas un sort enviable. C'était la rumeur qui courait et la contredire aurait prouvé une naïveté effarante.

Et c'était de toute façon confirmé par la présence d'un homme à quelques pas devant elle. Il était à genoux, les mains attachés dans le dos. Ses vêtements étaient en piteux état. Tout comme lui-même d'ailleurs : son sang tachait le tapis. Il haletait, tentant sans doute de retenir des gémissements de douleur.

Le nouvel arrivant passa à côté de lui sans le regarder plus en détail. Il se plaça face à la Dame des Ombre et s'agenouilla.

« Relève toi et révèle ton visage. Je n'aime pas parler à une capuche, je te l'ai déjà dit, lança la femme d'un ton ennuyé. »