Une immense table avait été installée au centre de la salle du trône artisanale de l'abbaye. Sur celle-ci n'était pas disposée une carte, contrairement à ce qu'il aurait pu être attendu. Il s'agissait de petites statuettes en bois. Les détails étaient particulièrement bien sculptés. C'était tout du moins ce que jugeait Arthur par rapport à la sienne. Elle reposait dans sa main, pas plus grande que sa paume. Il avait été représenté sous sa véritable forme, le rendant bien plus bestial.
Sur le socle noir, il était inscrit : le Chevalier de la Nuit. Arthur avait toujours trouvé ces noms pompeux et fantaisistes. Toutefois, les traditions se gardaient et il n'avait pas eu son mot à dire lorsque la Dame des Ombres l'avait obligé à s'inscrire dans le grand livre des monstres, à rayer l'ancien. C'était un moyen de renier son passé.
« Ne touche pas à ça ! l'avertit une voix fluette et désagréable derrière lui. Je t'ai déjà dit que ce n'était pas des jouets. »
Arthur se retourna et dut baisser le regard. S'il était très grand, il fallait bien convenir que la vieille femme qui arrivait était minuscule. Ils devaient avoir entre quarante et cinquante centimètres de différence. Le contraste était flagrant.
Ses cheveux blancs semblaient fait de filins de glaces qui ne fondaient pas. Ils lui arrivaient juste au-dessous des oreilles. Une paire de lunettes à écailles reposait sur le bout de son nez aquilin mais elle n'empêchait pas ses yeux bleu polaire de refroidir chacun de ses interlocuteurs. Ses traits étaient tirés, sévères, sa peau aussi fine qu'un parchemin. Elle était assise dans un fauteuil roulant, mais tenait tout de même fermement une canne dans ses mains noueuses. Elle portait une tunique en lin à manches longues complétée par un pantalon fait du même tissu et des ballerines d'une couleur identique. Un châle en grosse laine poussière complétait le chaleureux tableau.
« Mamie... Arrête de bougonner sur tout le monde !
- Ne m'appelle pas « mamie » ! Les jeunes de nos jours manquent singulièrement de respect pour leurs aînés. Certains acceptent. Moi, non. »
A l'inverse de sa grand-mère Odette, Yassin Ladouani, qui était situé juste derrière elle, était connu pour son aimabilité. Il adressa un sourire gêné à la victime de son aïeule, comme pour l'excuser. Si celle-ci, excepté pour sa chevelure, ne sortait pas vraiment de l'ordinaire, ce n'était pas son cas. Sa peau semblait imiter l'écorce du bois. Arthur n'avait jamais pu y toucher mais il était persuadé que cela en était. Des branchages se dressaient sur son crâne nu. Au printemps, il n'était pas rare de voir des oiseaux essayer d'y faire leur nid avant de se faire chasser sans état d'âme.
Un long manteau terre était ouvert sur un ensemble compliqué de tissu sapin et de pantalon militaire avec des rangers.
Arthur reposa sans faire d'histoire la petite pièce avec les autres du même type : il n'était pas là pour créer des ennuis. Il attendait que la réunion ne commence. Arriver toujours en avance avait parfois des inconvénients.
D'un seul coup d'œil, il repéra leur représentation sur la table, avec les autres aux socles noirs. Le Fabricant et Le Petit Flocon. C'était dans ces moments-là qu'il était heureux de voir d'avoir hérité de son titre : celui d'Odette était ridicule. Toutefois, mieux valait éviter de lui dire : elle était connue pour son caractère exécrable.
Il y avait pleins de figurines aux couleurs différentes. Une pour chaque clan. Celle de la Dame des ombres était le noir. C'était un moyen de tenir le compte des adversaires et des alliés qu'ils avaient à disposition. Aujourd'hui, celle qui correspondait au Baron des ronces allait disparaître. Sans doute dans les flammes. Lukas s'en ferait une joie certaine.
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La Dame des Ombres
ÜbernatürlichesArthur n'a pas été élevé pour devenir un monstre. Heureusement, il le vit plutôt bien. C'est sans doute grâce à sa maîtresse. Elle a lié sa vie à la sienne pour le meilleur et surtout pour le pire dans sa grande bonté. A l'inverse de ce que l'on pou...