Jour 2 : Balade [2/2]

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  C'est long, le temps s'écoule lentement, Yoongi ne sait plus comment le tuer. Il erre, la tête pleine, de pièce en pièce, à la recherche de cet infime morceau de chaleur capable de changer son présent obsessionnel en oublie occasionnel. Rien de plus ou de moins, Boucles d'or veut simplement vider son esprit de tout ce désir qui l'enchaîne à l'ennui.

  Ses pieds, de bonne taille, frôlent le carrelage de la salle de bain d'une cadence agréable ; entre le lent et le rapide. Il ne veut pas se dépêcher, il n'est pas pressé par les heures, les minutes, les secondes. La liberté est son alliée, il l'a à ses côtés. Elle le protège de l'influence de ces horloges impérieuses qui heurtent autrui en lui rappelant qu'il doit se dépêcher à tout moment. Il n'a pas la crainte de rater un événement important. Il n'a pas de planning, d'horaires, pour le remuer sans cesse d'un endroit à son contraire. Il peut se permettre de marcher à son rythme, de faire avancer son corps en poésie, sur un tempo qu'il a choisi. 

  Il s'arrête dans sa balade, pose ses yeux sur ce vide omniprésent qui tisse des liens de fil blanc entre sa pondération et son appétit affectif ; tout cela ne lui paraît plus aussi moelleux, confortable, il ne veut plus de ce quotidien plat offert par le manque de contraintes. Il se dit que la liberté n'est peut être pas dans le fait d'être bardé par le néant, mais dans celui d'être embarrassé d'imprévus. Est-ce aussi important de se mouvoir selon le débit contrôlé d'un vent qui nous est propre, ou ne vaut-il pas mieux suivre une mesure qui nous est imposée sagement ? Accepter l'aventure, sortir de sa zone de confort pour profiter de moments naturels et non-provoqué. 

  Il se bouche les oreilles ; cela revient, il l'entend, la perçoit, cette cacophonie solitaire qui l'a guidé jusqu'à Namjoon. Il se doit de la faire taire avant qu'elle ne vienne lui picorer le cervelet, avant qu'elle ne plante sa graine de nervosité au creux de son estomac. Il ne veut plus des malheurs qu'elle apporte, des douleurs qu'elle provoque. Il la sait pernicieuse, menteuse et manipulatrice ; elle le pousse à se déprécier, à tout remettre en question, à douter de sa place ici-bas. Il en devient ombre, noirceur et raideur. Plus rien ne l'enchante et ses pensées se transforment en couteaux tranchants qui le détruisent de l'intérieur. 

 Par chance, il connaît un substitut aux mots, aux phrases et autres méchantes occupations d'une âme tiraillée entre humeur et raison : La noyade temporelle. Elle est d'une aide précieuse lors de moments comme celui-ci. Elle évite les spéculations d'une attente trop longue. Elle permet de vivre plus heureux, en paix, sans proposition chimérique pour venir combler ce trou béant laissé par le manque social. Elle rationalise, répare et solidifie les consciences isolées. 

  Yoongi se déshabille ; les tissus glissent sur sa peau pâle et envoûtante, s'écrasent au sol dans un bruissement sourd et léger. Il tourne la poignée destinée à l'eau chaude, patiente en chantonnant  un air dont il ne connaît pas la provenance, pose son regard sur ce filet translucide qui l'attire tant ; il en laisse de côté ce qui, plus tôt, l'attristait. Cette douce mélodie, formée par le bruit d'un rassemblement liquide s'écrasant sur une surface lisse, a su assécher cet abattement coulant qui lui bloquait l'esprit.

  Son regard suit le mouvement répétitif de cet ensemble homogène, mais relativement distinct. Il sait que, malgré leur ressemblance flagrante, ces lignes sont dissociables les unes des autres ; elles sont modelées par des gouttes que la nature a rapproché avant de les fondre en une seule œuvre. Elles sont reliées par pur hasard, elles connaissent l'odyssée de leur existence sous ses yeux ébahis. En actionnant ce robinet, en laissant se déverser cette aquosité, il a permis la rencontre de molécules qui s'étaient en tout étrangères. 

  Ses pensées redeviennent ce qu'elles ont toujours été : un émerveillement constant sur ce que les autres ne voient pas, ou plus. Sa tête se remplit d'étoiles scintillantes, son ventre s'embrase. De ses doigts longilignes, il vient caresser la masse d'eau qui se dessine sous ses orbes admiratives. C'est si beau, si remarquable, de voir cette force émaner d'une chose si peu estimée. Quelle magie de constater qu'un millier, ou un milliard de gouttes peuvent créer une couverture  aussi chaude, brillante, et réconfortante en partant d'un geste bénin; celui de dévisser une espèce de levier lié à des tuyaux qui se chargeront de conduire ce liquide précieux dans un réservoir taillé de sorte à recevoir l'Homme. Il voudrait le dire , le crier, ouvrir les yeux de ceux qui dorment sur ce que l'insignifiant peut leur offrir ; il y a tellement à voir en dehors de ces écrans de lumière bleue, il y a tellement à recevoir dans la contemplation de la plus anodine des situations...

Why Kids Need Their Dads (HIATUS)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant