CHAPITRE III : Tyenne

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ONEMIA

Tyenne replongea dans l'ombre et disparut au coin du long couloir avant que la porte ne claque. Quand les pas s'estompèrent, elle risqua enfin un œil vers la silhouette d'Oegan qui, les poings serrés et les muscles bandés, partait à vive allure. Elle sortit de sa cachette, s'adossant à une des nombreuses colonnes. Ainsi... Rykon revenait d'une guerre qu'ils étaient en train de perdre... Elle sourit, décroisa les bras, refit son chignon et quitta le couloir, empruntant un petit escalier de service. Les servantes qu'elle y croisa ne lui prêtèrent qu'une petite attention. Oui, elle était une enfant de Richard, mais elle n'était qu'une fille et, en plus, la huitième. Elle était sûre que ces femmes là toutes vêtues de gris prêtaient plus d'attention à son chat Tigre qui gambadait librement dans les couloirs plutôt qu'à elle. 

Tyenne quitta les escaliers et arriva dans le grand hall. Il faisait toujours beau, à Onemia, et Tyenne n'avait que rarement vu la pluie et les nuages gris. Elle flâna quelques temps dans les écuries, entre les commerçants qui s'affairaient dans la grande cour et repartit finalement à l'intérieur du palais. Elle prit les escaliers jusqu'au deuxième étage et s'enfonça dans un couloir au bout duquel discutaient Ereen et Ashee, la première fille de Richard et la deuxième. Elles ne se ressemblaient pas du fait d'avoir une mère différente l'une et l'autre, mais leur beauté était à couper le souffle. Tyenne, elle, possédait un trop grand front et des lèvres trop fines. Ses yeux verts perçants sauvaient peut-être la mise mais, de toute façon, quel était le noble qui voudrait d'une huitième fille alors qu'Ereen et Ashee étaient en âge de se marier et de bien meilleurs partis ? De toute façon, Tyenne ne désirait qu'une chose ; rester libre toute sa vie. Un mari, des enfants, elle n'en voulait pas. Elle voulait simplement grimper sur la selle de son cheval et parcourir le monde - quitter Onemia serait un bon début ; elle en avait plus que mare d'être traitée comme une inconnue alors que du sang royal coulait dans ses veines. Ereen, grande, les cheveux cuivrés ondulés, posa son regard caramel sur Tyenne, fronçant ses fins sourcils parfaits. La jeune fille s'arrêta, jaugeant ses deux sœurs - surtout la première et ses cheveux roux-brun ; ils étaient le lègue de la famille d'Yrryhsa, une famille qui pratiquait l'inceste depuis des générations. Les frères étaient mariés aux sœurs, et jamais le sang royal n'avait été mélangé à un autre. Sauf cette fois là. La mère d'Ereen, Madeleen, était une cinquième enfant et donc impossible de la marier avec un de ses deux frères déjà pris. Richard avait eu bon goût en lui proposant sa main, mais Tyenne savait que ce n'était que pour rompre le rituel de la famille d'Yrryhsa et d'avoir sous la main une personne qui puisse les atteindre. Ereen était plus qu'une belle et jeune princesse d'Onemia, elle était aussi l'objet de Richard pour anéantir la famille d'Yrryhsa car il se disait que dans leurs veines coulaient un pouvoir étrange, un pouvoir qui ne fût conservé qu'entre membres de la famille d'Yrryhsa... jusqu'à maintenant. Tyenne sourit de toutes ses dents. Ereen savait-elle quel enjeu elle était pour Richard ? Et qu'il n'hésiterait sans aucun remord à se servir d'elle, première de ses nombreuses filles soit-elle ?

_Jeune sœur, la salua Ereen en baissant poliment la tête - sans pour autant la lâcher des yeux.

_Ereen, grommela Tyenne.

De toute évidence, elle avait oublié son prénom. Comment l'en blâmer? Les fils de Richard se compteraient bientôt en vingtaine et les filles avaient déjà dépassé ce nombre depuis belle lurette. Tyenne se tourna ensuite vers Ashee qui la regardait avec un dégoût non dissimulé. Tyenne était l'espiègle, la garçonne, celle qui ne respectait pas les règles et qui portait des pantalons. Et Ashee était tout son contraire, avec ses cheveux châtains parfaitement coiffés et tressés, avec ses lèvres pulpeuses et polies, et ses robes et soieries parfaitement arrangées. Même le collier de perles à son cou semblait ne jamais bouger.

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