CHAPITRE IV : Thomas

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YRRYHSA

Les couloirs de la place forte d'Yrryhsa, la Forteresse d'Edmür,  étaient froids, sombres et gris. Les hautes mais étroites fenêtres étaient parées de simples rideaux bleu foncé et laissaient entrer une lumière éparse et grise. Les portes qui s'y alignaient étaient en bois foncé, sans supplément, et les salles qu'elles renfermaient étaient toutes aussi sobres. Aucun métal précieux, pas d'or ou de pierreries. Le strict minimum et de la pierre. La Forteresse avait été construite il y a des millénaires, avant même que les empires d'Onemia et d'Yrryhsa ne se dressent, à même le flan de la falaise de Roc Dur, une grande montagne où l'escalade était mortelle. Les parois, lisses, n'offraient aucune prise et les vents qui battaient à son sommet étaient trop violents pour être combattus par la faible force de l'Homme. Ce n'était ni l'impressionnante montagne où l'imposante forteresse creusée à même la roche pour certaines ailes qui émerveillait Thomas. Non, c'était les fabuleux dédales de sous-terrains qu'elle recelait en secret. Toutes les entrées connues avaient été condamnées, mais certains passages avaient été depuis longtemps oubliés et restaient, attendant que quelqu'un les découvre à nouveau. Les sous-terrains qui se déroulaient sous la roche, délaissés, pouvaient aller jusqu'aux royaumes voisins, voire même à l'Empire d'Onemia, tout au Sud, ou le puissant royaume de Quadrya, à l'Est. Thomas le savait car il avait lu, beaucoup, et avait observé, aussi. Les druides, hommes qui pratiquaient la magie, avaient établis leur repaire d'ermite dans ces nombreuses cavernes humides. Ils avaient longtemps été dissimulés pour induire Onemia en erreur. Son empereur, Richard VI, ainsi que son père, ont toujours pensé qu'ils étaient les derniers détenteurs de pouvoirs puissants inaccessibles aux autres mortels ; ils se trompaient. Dans les sous-terrains de la Forteresse d'Edmür grandissait dans l'ombre une secte de druides aussi puissants que belliqueux. Yrryhsa était l'Empire le plus puissant du continent, tant par sa force militaire que par ses nombreux druides, et son frère, Cycéronn, avait pour projet d'anéantir l'empire orgueilleux et avare d'Onemia.

Thomas s'en fichait éperdument. Des guerres, il n'en voulait pas. Cycéronn était parti il y a de cela quelques mois déjà offrir à Arnevall quelques druides en échange d'une somme astronomique dont - qu'il en ait conscience ou pas - le royaume d'Arnevall ne se relèverait pas. Ainsi, accaparé par ses ennemis arnevalliens, Onemia ne verrait pas venir la menace du Nord. Thomas inspira un bon coup et referma le livre posé devant lui. Pourquoi pensait-il à cela ? Il avait bien plus urgent à faire ; il devait partir. Loin. Loin des hommes qu'il ne supportait plus pour leurs guerres, leurs envies insatiables et leurs traîtrises. Il ne se plaisait pas à la Forteresse d'Edmür où le ciel était toujours gris et le temps maussade lors des plus beaux jours ; mais il ne voulait pas non plus de la luxure d'Onemia et de ses ciels immaculés et tempérés. Il voulait la liberté. Une liberté qui allait sûrement être durement acquise. Mais une liberté tout de même. Il était le malchanceux prince d'Yrryhsa et, comme le voulait la coutume odieuse de la famille royale, il était promis à sa plus jeune sœur, Andrea. A peine âgée de dix-huit ans, elle avait déjà le trait de caractère de Cycéronn ; prétentieux et avide de pouvoir. Thomas ne l'aimait pas, pas plus qu'il aimait cette coutume incestueuse. Il était le fruit d'un inceste, il en était conscient. Et plus d'un dans sa famille ont souffert de ses relations consanguines. Lui espérait garder toute sa tête... et partir le plus tôt possible d'ici.

Il fronça les sourcils et se remémora les dernières lignes à moitié effacées par le temps de son épais ouvrage. Absorbé dans ses pensées, il les avait survolées sans les enregistrer. Il rouvrit précautionneusement le grimoire dont quelques pages s'effritèrent à nouveau entre ses doigts. Comme s'il s'occupait d'un animal blessé, il caressa la couverture ornée, tourna avec délicatesse les pages en parchemin jauni, et, une fois à la bonne page, laissa ses doigts parcourir doucement celle-ci. Ils s'arrêtèrent sur une ligne en particulier. C'était une langue ancienne que Thomas avait aimé apprendre seul ; faute de mestre pour l'aider.

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