Tous les regards étaient rivés sur moi. J'aurais dû paniquer et craindre un échec cuisant face aux invités, mais je me sentais coupée du monde. Je les voyais, mais ma présence était diffuse, incomplète. J'étais mentalement absente. Il n'y avait que le calme autour de moi.
Ce calme était hideux. Il n'annonçait que la mort et la désolation. Le chaos, la tristesse. Une boule d'inquiétude se forma dans mon ventre.
Et puis, une vague de son déferla sur moi. Les murmures incessants déchirèrent l'impression de vide qui s'était créée.
— Tu ne sais pas, souffla une voix à ma gauche.
— Je te hais, ajouta une voix au bord des pleurs.
—...idiote, idiote ! Réveille-toi !
— Non, protesta une énième voix. Ce n'est pas toi...
— ...pas elle, pas elle, reprirent toutes les voix en choeur.
— Tu nous as abandonnés, petite alve ! rugit une voix plus forte que les autres.
— ...et tu vas en payer le prix...
Le silence revint. Tout s'effondra autour de moi.
Je papillonnai un instant des yeux, hagarde. Que venait-il de se passer ? Le monde tourbillonnait et j'avais la très désagréable sensation de perdre pied. Les murmures de l'assistance s'étaient tus.
La réalité revint à moi brutalement. C'était vrai... il fallait parler à Rièssa, se faire pardonner par Baaltar, éviter la vengeance de Siè, se méfier des nobles, ne pas décevoir. Ne jamais décevoir. Une question vint à moi, brûlante, terrifiante. Avais-je reçu la bénédiction de la forêt-mère ? Je n'avais entendu que des voix hostiles.
—La forêt-mère t'a acceptée, félicitations, gronda le Roi de sa voix caverneuse sans attendre. Tu es liée à elle pour toujours à présent. Nous accueillons parmi nous une nouvelle apprentie mage.
Son ton était poli, mais ses yeux lançaient des éclairs, comme s'il voulait que je disparusse. Je baissai les miens autant qu'il m'était possible. Qu'avait-il dit ? Ah oui. J'avais réussi. Réussi. Ce mot était si doux. Si le Roi l'affirmait, alors je ne craignais plus rien. La forêt-mère m'avait acceptée. Dans un élan de joie, je m'apprêtai à répondre.
— Me...
— Où est le vif-encrier ? me coupa le Roi sèchement.
— Ici, Ô Roi ! lança un petit alve rabougri en s'approchant de moi.
— Bien, fit le Roi en reportant son attention sur moi. Selon le désir de la forêt-mère, nous devons te marquer.
Je sentis son regard pesant sur ma nuque. Il n'était pas content. Le sourire mourut sur mes lèvres. Le Roi reprit la parole et s'exprima d'un ton ferme.
— Tu porteras la Marque, preuve de la magie qui coule à présent dans tes veines. Elle te montrera la voie. Tu ne parleras jamais de ta magie avec un non-initié, un alve de bas-rang, ou pire encore, un alve chamane. Et finalement, tu te dévoueras entièrement à notre cause, celle d'une forêt-mère plus juste, plus pure.
Sa voix se fit plus dure.
— J'espère que tu ne perdras jamais de vue ces règles. Si, par malheur, tu les transgressais, je me verrais dans l'obligation de prendre ta vie. Ce serait déplorable, n'est-ce pas ?
Il n'attendait pas de réponse, il claqua des doigts, et le vif-encrier s'empara de son pinceau et de sa vive-encre. Je frémis.
— Ça ne fera pas mal, petite demoiselle, grinça le vif-encrier en souriant.
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La Vallée aux Papillons
FantasyDepuis des millénaires, la grande civilisation des alves vit isolée dans la forêt-mère, coupée du reste du monde par de gigantesques montagnes maudites. Cependant, à l'ombre des immenses arbres éternels, d'étranges machinations se trament dans le s...