CHAPITRE 1

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Le concours stipule qu'il faut être âgée d'au moins dix-sept ans et qu'il faut posséder les atouts physiques féminins. Je suis complètement en règles, mais quand je vois des filles aux formes et au visage parfait, je me dis que non. Les regards noirs sont à foison, aucune ne fera jamais l'effort d'offrir son sourire à une concurrente. Ma mère m'a déposée devant cet entrepôt, où les photographes ne font qu'appuyer des milliards de fois sur leurs appareils sans même regarder qui ils prennent, où les assistantes qui nous habillent nous laissent avec une robe difforme dans les bras. C'est une vraie fourmilière et le nombre de prétendantes au titre d'Égérie de Chanel est très long. Elle m'a déposée en se fâchant, je me souvient très bien de ses paroles...

"Non mais à ce point là, Ariel ? souffle-t-elle. Tu ne me demandes même pas de te laisser cinq cent mètres avant ?"

Je lui ai demandé pourquoi j'aurai fait cela et elle m'a simplement répondu qu'elle m'aimait mais qu'elle voulait que j'y aille.

Je bégaie presque quand je demande des vestiaires pour me changer et on me rit au nez en m'annonçant qu'il n'y a pas d'endroit destiné à cet usage et que je dois faire comme tout le monde. Moi qui jusque-là évitait le regard des autres, je me met à les observer de près :des filles stressées qui tremblent, d'autres qui se re-pomponnent,et puis celles qui cachent la robe de cocktail dans leurs sac comme un souvenir à ramener chez elles. Mais elles ont toutes un point commun, elles brillent de beauté et de charisme. Elles ne se préoccupent donc pas du regard des autres, en se changeant sans aucune gène devant tout le monde, en riant en plus de cela.

—Tout va bien ? demande doucement une voix masculine tandis que j'enlève mon gros pull.

Je hurle sans faire exprès par ma plus grande timidité et cache ma tête dans mon pull encore sur mes bras. Cet endroit est interdit aux garçons ! J'entends alors un rire et j'ose sortir le bout de mon nez pour vérifier l'identité de la personne qui veut m'aider. C'est bien un jeune homme qui me fixe avec les sourcils froncés mais un sourire en coin. Je re-cache ma tête sous mon bouclier. Comme une autruche. Je sens qu'on me l'enlève alors.

—Eh...calme-toi, tu n'as pas à réagir comme ça, je voulais juste te redonner cette barrette qui vient de tomber alors enlève-moi cette mine rougie, rit-il en se moquant. Tu n'as pas besoin d'être gênée non plus je suis du même bord que toi si tu vois ce que je veux dire.

Tout d'un coup, je vais mieux. Pas la peine de me l'expliquer, je viens de me rendre compte qu'à l'évidence je n'ai pas peur du sexe masculin mais plutôt des mâles hétéros. J'enlève alors définitivement mon tricot et le pose sur mes converses toutes abîmées à côté de mon sac à dos, lui aussi très vieux.

—Je suis désolée, m'excusais-je faiblement.

—Désolée? Mais de quoi t'excuses-tu ? Tu n'es pas habituée à ce genre d'événements j'ai l'impression.

—Ça c'est sûr, mais c'est pour faire plaisir à ma mère alors ça vaut toutes les souffrances, expliquais-je en ne sachant toujours pas pourquoi je raconte toute ma vie à un inconnu.

Je le détaille rapidement, en remarquant qu'il possède un appareil photo autour de son cou. Je me frappe mentalement, il a tous les droits d'être là en plus. Il sourit et deux jolies fossettes se creusent dans ses joues. Pourquoi les gays sont toujours beaux et inaccessibles ?

—Je m'appelle Robin d'ailleurs, ravi de te rencontrer. Enfin une fille qui n'a pas l'air superficielle, tu dois être la première aujourd'hui. La première qui n'essaie pas d'avoir mon numéro avec des coups d'œils langoureux... Tu peux m'appeler Rob si ça t'arranges.

Je souris pour la première fois de la journée.

— Il y a d'autres endroits mieux que celui-là pour espérer tomber sur des gens normaux, riais-je en espérant que ma blague le fera aussi rire.

Je crois que je me fait un ami, pour la première fois depuis des années.

—Je m'appelle Ariel, ravie de te rencontrer aussi, Rob... dis-je entendant timidement ma main.

Il semble comprendre quel effort cela me coûte et la sert avec force,avant de la prendre délicatement avec surprise.

— Wouahou. Tes mains sont parfaites... elles sont très fines, et ce poignet pourrait porter n'importe quel bracelet, commente-t-il presque émerveillé en tenant mon bras comme une plume.

Il commence à tourner autour de moi, en faisant des gestes avec ses bras, comme si il cadrait mon corps.

—Oui, c'est ça, c'est exactement toi, dit-il avec détermination. C'est toi que nous cherchons. Tu fais quelle taille ?

—Hem,eh bien je mesure un mètre soixante-dix-neuf, répondais-je en grimaçant.

J'ai toujours détesté ma hauteur, les garçons ont toujours été plus petits que moi et les mauvais surnoms n'ont jamais cessé d'affluer. Ça doit être une des choses qui font mon caractère d'aujourd'hui.

—Parfait, tu sais que pour la deuxième partie du concours tu devras te faire prendre en photo encore une fois, accepterais-tu de poser pour moi Ariel ?

Moi qui pensait ne faire qu'un aller-retour dans le paradis de la mode,on me propose maintenant un simple aller. J'aiderais beaucoup Maman si j'acceptais. Mais est-ce que j'aimerais faire ça ? J'ai mon année de terminale qui commence dans moins de trois semaines et un bac à obtenir.

En regardant Robin, je ne sais pas ce qui me prend à répondre :

— Avec plaisir.

Son sourire dépasse toutes mes peurs, je n'ai rien à perdre après tout.

— Qu'est-ce qu'on attend ? Allez, met cette jolie robe, je te cache.

Et c'est comme ça que ma journée se finit magiquement, des étoiles dans les yeux, un ami, une toute petite chance d'avoir assez d'argent pour finir mes études dans l'humanitaire et la bonne humeur de ma mère. J'ai réussi à oublier pendant quelques instants mon cauchemar qui arrive dans trois semaines.

ÉgérieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant