Les bombes tombaient sans arrêt à l'autre bout de Londres. Elle les entendait. Elle sentait le sol vibrer sous ses semelles. Et elle voyait la nuit illuminée de rouge. Catherine ferma les yeux un instant. Toutes ses horreurs...
Elle se reprit et poussa à nouveau la civière sur laquelle était allongé son "mari". Je m'appelle Catherine Dashner, je me suis mariée il y a trois ans, juste après ma majorité avec cet aspirant sous-lieutenant. Je retourne auprès de ma belle-famille, car il a attrapé la tuberculose. J'ai eu l'autorisation de la Croix-Rouge... Sous réserve de m'occuper de ce second tuberculeux africain.
La civière tressauta sur un pavé déchaussé. Un sifflement lui parvint de sous la couverture.
- Tu pourrais faire attention!
- Pardon! On n'y voit rien, je te signale. Et puis tu es sensé être un chanceux qui peut retourner auprès de sa famille, alors...
- Ça va, j'ai compris.
Catherine entendit la seconde civière, celle occupée par Moïse, tressauter à son tour, et Jeanne pousser un juron.
Au fur et à mesure du chemin, l'odeur de poisson augmenta, jusqu'à devenir étouffante. Ils étaient arrivés au port. Elle aperçut le bateau de la Croix-Rouge qu'ils étaient sensés prendre jusqu'à la France, chargés de médicaments et de matériel pour les hôpitaux. Une passerelle avait été déployée, sûrement pour eux. Une unique ampoule éclairait leur chemin.
- Attention, ça va secouer, prévint-elle. Accroche-toi !
Lorsqu'un grognement d'assentiment lui parvint, elle s'engagea sur les traversins. Une fois sur le pont, elle se retourna pour aider Jeanne, qui jurait comme un charretier en poussant la civière, difficilement.
- Quel langage fleuri ! fit une voix sarcastique provenant de sous le drap.
- Toi, je te jures que...
Mais avant qu'elle n'ait pu poursuivre ses imprécations, Catherine se saisit de l'autre côté de la civière et l'aida à monter.
Lorsqu'elle posa ses semelles sur le pont pour la seconde fois, un homme les attendait, le visage masqué par les ombres.
- Bienvenue sur le bateau. Je suis le capitaine Hugon. Comptez sur moi pour vous amener à bon port. Je ne suis pas militaire, mais quand même compétent ! Tenez, voilà vos papiers.
Il les lança, et Jeanne les réceptionna adroitement.
- On part dans dix minutes, le temps de faire chauffer les moteurs.
Il fit volte-face, et son visage fut brièvement éclairé par l'ampoule. Une moitié de son visage avait été emporté par des éclats d'obus, sûrement de la guerre de 14.
Catherine poussa un soupir. Encore un homme abîmé par la guerre...
Soudain, elle entendit un reniflement derrière elle. Jeanne...
- Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer, murmura Catherine.
- Tant que je ne te verrai pas devant moi, je ne croirai rien.
- Nous t'écrirons, ne t'en fait p...
- NON ! cria-t-elle. Non, surtout pas ! Si on intercepte le courrier... J'essaierai simplement de faire passer des nouvelles par la radio... On fera comme ça, d'accord ?
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Frères de guerre [TERMINÉ]
Historical FictionEn juin 1940, les Allemands ont envahi la France et l'armistice s'apprête à être signé. Catherine et Henri sont séparés par des centaines de kilomètres : elle est à Dunkerque pour une affaire de testament, et lui est resté dans leur ville d'origine...