Prologue . Abi

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Il faisait froid. Trop froid. J'avais l'impression que des milliers d'aiguilles glaciales transperçaient mon corps inerte. Mes larmes brouillaient ma vue. Je distinguais à peine Julien allongé à quelques centimètres de moi. Sous mes doigts, un liquide poisseux se rependait. C'était sa vie. Je le savais. Ce qui glissait le long de mes paumes n'était autre que le peu d'existence que contenait encore l'homme que j'avais épousé deux ans plus tôt. J'étais incapable de bouger, immobile près de celui que j'aimais plus que tout. Je voulais pouvoir hurler, me lever et compresser la plaie béante qui trouait son abdomen, mais je ne pouvais pas. Je ne voyais même plus la buée s'échapper de sa bouche, signe qu'il se battait toujours pour s'accrocher à la vie.

Je t'en prie, mon amour, ne m'abandonne pas...

Un râle me parvint. Une haleine chargée en whisky me retourna l'estomac. Quelqu'un s'affairait sur moi. Cette ombre sortit de nulle part seulement quelques minutes plus tôt, gémissait au creux de mon oreille. Mon corps était secoué de manière régulière, mais je ne sentais rien mis à part ce froid tenace de décembre. Il neigeait lorsque nous avions quitté notre appartement dans la soirée. Ce beau manteau blanc était maintenant souillé par le rouge de mon amour défunt. Nos doigts n'étaient qu'à un cheveu de se toucher. Il ne manquait pas grand-chose, je le savais. Cependant, je ne pouvais même combler ces quelques millimètres. Le son des battements de mon cœur m'étourdit. Trouver de l'air devint de plus en plus difficile.

Ne me quitte pas...

Ça ne pouvait pas arriver. Non, bien sûr que non. Je refusais de le croire. J'allais me réveiller, lovée dans ses bras, bien au chaud sous notre couette moelleuse. Julien se moquerait de moi quand je pleurais et que je me jetterais sur lui, trop heureuse de le voir vivant. Il m'enlacerait jusqu'à ce que je me calme et me ferait l'amour pour me prouver qu'il est en vie. Puis nous irons flâner dans la grande surface la plus proche afin de nous faire une idée des articles à acheter pour le bébé. Nous ne connaissions pas encore le sexe, mais, peu importait, c'était juste pour que l'on se fasse plaisir visuellement. Que nous puissions imaginer par la suite la chambre de notre enfant.

Un pic de douleur intense m'arracha à mes pensées et me tira un cri atroce. J'eus un haut-le-cœur, déchirée de l'intérieur. Puis le poids qui me clouait au sol s'envola. Un grognement s'éleva plus loin après un bruit de chute brutale. Une voix grave fendit la nuit suivie d'une flopée de jurons. Quelques excuses pitoyables furent balbutiées. Puis des impacts. Ceux de poings rencontrant la chair et l'os. Une poignée de geignements de douleurs s'y mêlèrent. Mais j'avais mal, trop mal pour me concentrer dessus. Mon ventre me donnait l'impression d'avoir été lacéré. Je m'étranglais dans mes propres sanglots. Lorsque la bile remonta le long de mon œsophage quand mon corps ne put supporter plus de souffrance, quelqu'un me poussa sur le côté afin que j'évite de m'étouffer avec. Deux yeux aussi noirs que l'enfer se posèrent sur moi. Une bouche pâle me pria de ne pas fermer les paupières. Julien était derrière ce visage. Qu'il se pousse ! Mais je ne pus rien articuler, un voile sombre tomba sur moi et m'emporta.

Prends ma mainWhere stories live. Discover now