Je m'étais encore réveillée en sursaut et en larmes, pensant avoir entendu les pleurs de mon bébé. J'avais tâté le côté gauche du lit, espérant y trouver le corps chaud de Julien. Seulement, lorsque mes doigts s'étaient refermés sur les draps froids, mon cœur s'était serré. Julien était mort depuis plus de trente mois et ma grossesse avait pris fin lors de l'agression. Ces matins-là étaient sans aucun doute les plus durs.
— Madame Leroux, m'appela le Docteur Emerson.
Lasse, je me levai du fauteuil peu confortable de la salle d'attente étriquée pour rejoindre son cabinet. Il me donna une poignée de main molle comme à son habitude et me fit signe de prendre place.
— Comment allez-vous aujourd'hui ?
Chaque semaine, les mêmes questions amenant les mêmes réponses.
— Bien.
Mensonge éhonté.
— Vous manquez de sommeil, cela se voit.
Oui, ma mère me l'avait fait remarquer ce matin, lorsque j'étais sortie sans maquillage. Mes cernes me mangeaient le visage selon elle. Quitter la maison dans cet état ne pouvait être envisageable. « Abigaël, si les voisins te voient ainsi, que vont-ils bien pouvoir penser ? » Qu'en avais-je à faire de ce qu'ils pensaient ? Mais pour la calmer, j'étais remontée et avais appliqué de l'anticerne ainsi qu'un peu de fond de teint pour camoufler ma mine blafarde.
— Vous avez encore fait des cauchemars, récemment ?
— Je croyais que ça cesserait, soufflais-je en passant une main dans mes cheveux ondulés. Après la libération de Monsieur Kostas, j'avais espoir de retrouver un peu de sérénité. Mais ça fait trois mois et...
Je me pinçai le nez, tentant de stopper les larmes qui menaçaient de couler.
— Rome ne s'est pas construite en un jour, Madame Leroux. Vous ne pouvez pas aller mieux en un claquement de doigts. Il faut du temps pour se rétablir d'un traumatisme aussi grand que le vôtre.
— ça fait trente mois, Docteur.
— Et vous vivez encore dans le passé. Avez-vous vidé votre ancien appartement ou du moins commencé ? Lors de la dernière séance, vous deviez aller faire un carton pour débuter.
Je n'avais même pas pu mettre la clef dans la serrure. J'étais restée sur le palier durant des heures à contempler la porte d'entrée et notre paillasson, jusqu'à ce que Thibault vienne me chercher. Je pus lire la déception dans le regard du psychiatre.
— Il faut que vous affrontiez ça. L'appartement sera vendu dans deux mois. Il faut, dans ce laps de temps, que vous arriviez à vous défaire de vos affaires du passé. Il n'y aura que comme cela que vous pourrez aller mieux.
Mes proches m'avaient poussée à mettre en vente notre logement. Je n'y avais pas remis les pieds depuis le soir du drame, c'était au-dessus de mes forces. Il contenait trop de souvenirs que j'étais incapable de gérer. En deux semaines seulement, j'ai eu dix offres. Il avait bien fallu que j'en accepte une. Mais signer ces papiers m'avaient permis de réaliser que je venais de perdre encore quelque chose. Cet appartement maintenait un lien entre Julien et moi. Le vider c'était rompre ceci. Je n'étais pas prête à ça. J'avais toujours besoin de lui.
— Demandez à votre ami Thibault de vous accompagner. Monsieur Leroux était son frère. À deux, il sera plus facile de franchir cette première étape.
Thibault avait beau être touché par la disparition de son ainé, ce n'était pas comparable. Lui s'était relevé. Il ne comprenait pas pourquoi je m'enlisais encore là dedans après plus de deux ans. Même s'il ne le disait pas, je pouvais le lire dans ses yeux. Personne ne le comprenait. La patience de chacun s'amenuisait chaque jour et un fossé monstre se creusait entre eux et moi. Parfois, je me demandais pourquoi je n'étais pas morte, moi aussi, ce jour-là. Tout aurait été finalement plus simple.
Dehors, sur le trottoir, je m'appuyai contre le mur de façade de l'immeuble de M Emerson. Mes mains tremblèrent quand elles délogèrent mon téléphone du fouillis de mon sac à main. Quatre appels manqués. Je devais déjeuner avec Thibault ce midi, comme après chacune de mes séances. Il voulait sans doute savoir où nous pourrions nous retrouver aujourd'hui. À moins qu'il n'ait eu un empêchement. J'appuyai sur la touche bis pour rappeler le dernier numéro entrant, en mode pilotage automatique. Il y eut quatre tonalités avant qu'il ne décroche.
— C'est moi, je viens juste de sortir. C'est toujours bon pour ce midi ? lançais-je, fébrile.
— Hum... Il ne me semble pas que vous m'ayez filé un rencard.
Mon souffle se coupa. J'éloignai l'écran de mon oreille pour voir quel numéro j'avais bien pu composer. Ce n'était pas celui de Thibault, mais celui de M Kostas. Ce dernier n'avait pas cessé de m'appeler depuis qu'il était sorti de prison dans le but de me remercier. Seulement je n'avais jamais répondu, ne voulant pas de sa gratitude. J'avais fait tout ça plus pour moi que pour lui, très honnêtement. Je ne méritais pas ces mots.
— Veuillez m'excuser, je me suis trompée de correspondant.
— Ne raccrochez pas, s'empressa-t-il de me dire. Vous êtes difficiles à joindre et je suis plus qu'heureux, après un trimestre entier de message sans réponse, de vous avoir enfin.
Je poussais un caillou du bout de mon escarpin, ne sachant quoi dire.
— Écoutez, Monsieur Kostas...
— Mayron, me reprit-il.
— Je ne sais pas quoi vous dire.
— Accordez-moi une heure. Je ne demande rien de plus. Juste une heure.
Ma main vola dans mes cheveux pour les rejeter derrière mes épaules. Je pris une grande bouffée d'air avant de me jeter dans l'inconnu.
— Pourquoi pas ?
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Prends ma main
Mystery / ThrillerAbi, veuve, s'enlise dans son deuil depuis deux ans. Mayron déboule dans sa vie bien organisée, chassant son chagrin et lui redonnant le goût de vivre. Ce que les proches d'Abi sont loin d'apprécier. Sa mère ne souhaite pas que le voisinage apprenne...