Chapitre 1 . Mayron

71 13 2
                                    

Cette chemise blanche me serrait, m'étouffait. Une goute de sueur dévala mon front, longea mon nez et alla s'écraser sur le bout de ces putains de pompes hors de prix luisantes. J'avais l'air d'un comptable coincé. Le genre gendre idéal. Je savais très bien que c'était ce que mon avocate cherchait. Elle voulait me rendre commun. Lisser mes imperfections pour me faire rentrer dans le moule que cette connerie de société avait façonné. Elle resserra mon nœud de cravate, me coupant un instant le souffle, et épousseta mes épaules de particules imaginaires.

— Bien, Monsieur Kostas, je pense que nous sommes prêts, m'agressa-t-elle avec sa voix aigüe.

Ce que me renvoyait le miroir ne me plaisait pas. Pas du tout, bordel ! J'étais un type à jean et tee-shirt. Un mec qui se salissait les mains sans problème. Un gars qui ne prenait pas la peine de coiffer ses cheveux toujours en bataille. Mais ça, ce n'était pas moi. Clairement pas. Ils avaient même taillé ma barbe et mes sourcils ! Une nénette m'avait enduit la gueule d'une crème bonne mine ! Non, mais sans déconner ! Ce relooking de mes deux m'avait couté. J'avais serré les dents, ravalant les répliques acides qui me démangeaient à cause de ce pitbull d'avocat. Maitre Pavot, la cinquantaine et le regard plus acéré que des poignards. Un requin dans le milieu. La crème de la crème. Quand je l'avais vue débarquer avec son tailleur Chanel dans la salle commune de la prison, j'avais cru à une erreur. Sa sacoche valait surement plus que tout le fric que j'avais pu me faire avec les paris illégaux et pourtant, j'y avais gagné un petit pactole. Elle avait posé son fessier osseux en face de moi sous le regard de plusieurs de mes codétenus puis avait fait claquer un dossier impressionnant sur la table en métal.

— Votre cas est loin d'être le plus compliqué que j'ai vu, M Kostas, avait-elle lancé en me détaillant par-dessus ses lunettes Dolce Gabbana.

J'avais haussé un sourcil et déblatéré d'un ton morne :

— Je n'ai pas demandé à voir un nouvel avocat. Et il ne me semble pas en avoir eu l'idée. N'ayant pas pris de coups violents qui auraient pu me faire perdre la mémoire, je suis assez sûr de moi, Maitre.

Ses lèvres fines s'étaient retroussées sur une rangée de dents blanches lui donnant un air plutôt effrayant.

— Pourtant, vous avez la tête d'un homme qui a ramassé une trempe, il y a peu.

— Les joies de la maison du bonheur.

— Madame Leroux m'a mandaté pour vous représenter.

— J'connais pas ce nom.

Elle avait eu le culot de souffler d'exaspération.

— Si je vous dis, la femme que vous avez sauvée il y a plus d'un an, un soir d'hiver, aux côtés du cadavre de son mari ?

Je m'étais redressé, tout à coup à l'écoute. Comment oublier ! Si j'étais dans ce bourbier, c'était à cause de mon intervention.

— Madame Leroux souhaite vous voir libre. Je vais donc faire ce qu'il faut pour que ce soit le cas. Il va sans dire que votre avocat a fait un plaidoyer navrant, voire inexistant. Le jugement qui a été prononcé il y a 5 jours ne pouvait être autre, au vu de sa prestation. Heureusement pour vous, Madame Leroux a été réactive et j'ai pu déposer une demande d'appel au greffe dans les délais impartis.

— Pourquoi s'intéresse-t-elle subitement à mon sort ? Et pourquoi payer une blinde un avocat pour faire sortir un criminel de taule ?

— Ça la regarde et surtout, ce n'est pas mon problème. Vous préférez rester là ?

Du mordant, de la ténacité, une maitrise parfaite du Code Pénal et du sarcasme, voilà comment je me retrouvais affublé de ce foutu costume gris foncé sous lequel je transpirais comme un âne.

— Détendez-vous et souriez. Ce n'est pas votre première fois.

Je ricanais, tendu.

— Vous en avez de bonnes, vous. Comme si on n'allait pas statuer sur mon cas dans l'heure.

— Ce ne sera qu'une formalité.

— Au prix où elle doit vous payer, je l'espère.

— ça vous tracasse que Madame Leroux me paye pour vous offrir la liberté. Vous rabâchez ça sans cesse. Concentrez-vous sur ce qu'on s'est dit. Le reste importe peu.

Cette femme aurait pu être colonelle. Sa voix claqua dans la petite pièce. Elle tira sur les pans de ma veste tout en hochant la tête d'un air satisfait.

— C'est parti, Monsieur Kostas. Allons régler cette affaire.

Elle était assise au troisième rang derrière mon box. Je me souvenais de ces cheveux auburn. Son regard gris se posa sur moi, examinant mon accoutrement ridicule. Elle serrait ses poings sur ses genoux pâles sur lesquels reposait le tissu fluide de sa robe turquoise. Elle avait l'air fragile, à fleur de peau. Lorsque je l'ai vu pour la première fois, au milieu d'un marre de sang, son visage tuméfié en forme de cœur entre les mains, je n'avais pas franchement pris le temps de la détailler. Et de toute façon, je n'aurais pas pu tant elle était abimée. Je n'avais pas réfléchi quand j'avais aperçu ce type sur elle. Je l'avais soulevé et tabassé jusqu'à ce qu'il ne ressemble plus à rien. J'avais fait en sorte qu'il ne se relève pas de sitôt, tellement que le gars ne se relèverait plus jamais. Il était dans un fauteuil aujourd'hui. Il n'avait récolté que ce qu'il méritait ce connard. Sa queue ne bougerait plus. J'en étais satisfait. Personne ne serait jamais plus sa victime. C'était tout ce qui m'importait finalement. Mais aux yeux de la loi, j'avais merdé. Ma réaction n'était pas proportionnelle au danger. J'avais pris dix piges. Une décennie pour avoir sauvé le cul d'une nana. Parce que sans mon intervention, elle se serait vidée de son sang et aurait clamsé. Mais personne n'avait voulu l'entendre. Aujourd'hui, Maitre Pavot allait rectifier le tir. Après une année à l'ombre, j'allais enfin pouvoir prendre une bonne bouffée de cet air vicié que j'aime tant !


Prends ma mainWhere stories live. Discover now