CHAPITRE I. LA RENCONTRE

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LA PROPHÉTIE

LUEIH

Je n'ai jamais cru au Destin. Bien que ce mot soit omniprésent dans ma culture et dans mes traditions, son sens énigmatique tend à me rendre méfiante face à toutes les personnes qui s'approchaient de moi et y faisaient allusion. Que dire des rêves et des prophéties ? Certes ils ont baigné mon enfance et mes nuits surtout lorsque mon arrière-grand-mère me les contait le soir dehors, lorsque le soleil faisait place à un ciel étoilé, et que le crépitement du feu de bois nous réchauffait.

Bien évidemment, ces histoires m'ont toujours fait rêver, certaines d'entre elles m'ont effrayé, mais j'ai remarqué que lorsqu'une personne meurt, ce n'est pas juste la personne qui part, mais c'est tout un monde qui s'éteint avec elle. Et contrairement à ce que la majorité des personnes disent, le temps ne guérit rien, ni ne comble le vide laissé par l'être aimé, mais il ne fait qu'atténuer la peine, la douleur, la tristesse. Quoi qu'il en soit, à la mort de mon arrière-grand-mère, le mot « Destin » suscitait en moi de la haine, de la colère tant il me rappelait cette idée de fatalité selon laquelle les hommes ne seraient de toute manière, jamais au contrôle de leur vie.

Je me remémorais alors de ce jour où elle évoqua cette prophétie, de l'héritière et de la fille du grand roi galoa M'beko, le « Roi Soleil », surnommée Zékia. Celle-ci était apparemment née sous une bonne étoile, et son destin était de sauver la civilisation africaine à l'aune de la montée de guerres civiles qui plongeraient le continent entier dans le chaos. Dotée d'une maîtrise excellente du combat, et d'une capacité intellectuelle des plus surprenantes, elle était tellement puissante que même les forces de la nature l'accompagnaient. Au cours d'une promenade en bateau dans le village d'Azingo avec ses dames, Zékia fit la rencontre d'une sirène qui lui conféra un pouvoir si immense que cela lui permettrait soit de détruire, soit de sauver les autres. Mon arrière-grand-mère ne me révéla jamais la nature de ce pouvoir. Remplie d'une beauté envoûtante, Zékia séduit le prince Adjumba Keloba Nzambe avec qui elle se maria et eut une fille. Cependant, le roi M'beko ne se doutait pas que son frère Ekoa, fondateur de la tribu des Nzébi, jaloux de lui et ambitieux, tenterait de lui voler le pouvoir de sa fille. Ce dernier commandita alors de la kidnapper, et de la noyer dans l'Ogoué en invoquant les mauvaises forces de l'esprit afin de voler son pouvoir par un sacrifice. Jusqu'à aujourd'hui, les tribus galoas et Adjumba sont en guerre contre les tribus Nzébi et par le jeu des alliances, la Gabon fut plongée dans une guerre civile.

J'ai toujours cru que cette prophétie était tragique, voire même dramatique car elle démontrait encore une fois un échec de ce que les hommes pensent être leur « Destin » jusqu'à aujourd'hui lorsque je fus sauvée par un inconnu au cours d'une émeute ayant eu lieu dans la capitale de Libreville à l'occasion des élections présidentielles de 2017. Il était vêtu d'un costume noir et d'un chapeau ressemblant fortement à celui de Charlie Chaplin dans son film Les lumières de la ville. Bien qu'il était grand et fin, il s'appuyait sur une canne marron claire, ce qui me fit remarquer que son dos était voûté. Je pensai d'abord qu'il avait certainement la quarantaine mais, étrangement lorsqu'il me lança un sourire, comme pour me rassurer, j'entrevis des rides se dessiner lorsque ses yeux se plissèrent. Alors j'en conclus qu'il devait être un sénior en très bonne santé comme ces japonais qui vivent un centenaire grâce à leur alimentation saine.

Il me dit alors :

- " Bonjour Lueih, comment vas-tu ? Cela fait un bout de temps que j'attendais de te rencontrer."

Tout d'un coup, je me figea et plusieurs questions se bousculaient dans ma tête. Qui était-il ? D'où venait-il ? Et comment connaissait-il mon nom ? À peine ai-je voulu lui répondre qu'il me devança, comme s'il avait lu mes pensées.

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