LA MALEDICTION

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ASHANTI

De l'autre côté du continent, au fin fond de la forêt orientale soudanaise, une jeune esclave avait expérimenté la même rencontre que Lueih plusieurs mois auparavant. Elle ne pouvait se souvenir du mois exact, cependant elle gardait en mémoire chacun des détails auxquels elle fut confrontée.

On dit souvent que la bouche de l'homme brûle d'avantage que le feu et lorsqu'une personne profère une malédiction à l'encontre d'une autre personne, cette parole s'ensuit de lourdes conséquences.

Ashanti Azar avait toujours su au plus profond d'elle qu'elle bouillonnait de colère. Pourquoi ? C'est simple, chaque jour elle ne pouvait s'empêcher de se demander pour quelle raison ses parents l'avaient abandonné à sa naissance comme lui a si souvent expliqué son maître. Elle a grandi en tant qu'esclave chez le couple Mobutu.

Maltraitée et humiliée jours après jours, il lui arrivait de rentrer dans d'excessives colères lorsquelle se retrouvait seule. À ces moments là, elle était semblable à une fine braise qui, avec du bois, ne cessait de s'aviver pour former une flamme incontrôlable. Ses maîtres lui expliquaient souvent que sa famille et tout son village entier l'avaient renié et l'avait maudit pour une raison qu'elle ignorait. Mr Mobutu lui racontait comment son père était arrivé un soir, accompagné d'une infirmière, les visages déconcertés, pour le supplier de l'acheter. C'est alors qu'ils la rebaptisèrent Ashanti Azar. Ashanti avait l'habitude de pleurer lorsqu'elle pensait à tout ça. Allait-elle le faire ? Non, elle était devenue bien plus forte avec le temps.

Au cours de cette après-midi de braise, durant laquelle le soleil frappait avec force, le ventre d'Ashanti ne cessait de gargouiller. Elle n'avait pas mangé depuis des jours et pour combler le tout, ses maîtres étaient des avares redoutables, dotés d'une si grande cruauté qu'ils se plaisaient à manger devant eux leur manioc et leur sauce graine. Pour ne pas y penser, Ashanti détourna le regard vers les animaux de la savane. Cela ne l'aida pas non plus: elle aperçut une girafe qui mâchait les dernières feuilles d'acacias tandis qu'un troupeau de zèbres s'abreuvait. Elle vit aussi un lion au loin qui étrangement semblait perdu.

Elle s'était toujours dit que sa place n'était pas avec ces fous. Son caractère bien trempé la distinguait des autres esclaves et sa beauté, telle une lionne indomptable, faisait d'elle un joyau aux yeux de ses maîtres dont l'espérance était désormais de la vendre au plus haut prix.

Dès qu'ils furent arrivés au point de rencontre, dans un espace perdu bien sûr, Ashanti aperçut un groupe d'hommes vêtus de vêtements noirs de la tête jusqu'aux pieds auprès d'un puits. Ils avaient l'air dangereux. Tout d'un coup le maître Mobutu dit à toutes les femmes de descendre du camion. Les hommes semblaient rechercher quelque chose comme s'ils traquaient quelqu'un. Cependant Ashanti ne se laissait pas abattre, même en face d'une personne qui voulait lui faire une excision, elle se serait battue quitte à y perdre sa vie. La pratique était trop courante au Soudan. Les hommes, au nombre de 8 s'approchèrent, la remarquèrent directement et la contemplèrent. Le dégoût s'emparait delle. L'un d'entre eux lui prit la main violemment pour l'emmener mais elle se débattit si férocement qu'ils s'y sont tous mis pour la tenir.

Ashanti sentit sa colère monter, une multitude d'émotions coexistaient en elle tandis que ses maitres Mobutu la regardaient, tout près, comme s'ils l'incitaient à partir sans faire d'histoires. Les pourris ! pensait-elle.

Un homme finalement lui ferma la bouche quand soudain elle sentit ses pieds puis tout son corps s'embraser. Les grains de sable sous ses pieds devenaient rouges puis progressivement noirs, agités par les flammes fugaces qui s'échappaient de son corps. Ses cheveux s'enflammaient aussi sans pour autant se consumer. En revanche, les hommes qui la tenaient semblaient être collés à sa peau jusqu'à ce qu'elle provoqua une explosion puissante qui les projeta, avec ses maîtres, à quelques kilomètres d'elle. Regardant autour d'elle, puis observant ses mains, elle savait qu'elle bouillonnait de l'intérieur, non, qu'elle brûlait même. Son pouls se calma et elle redevint progressivement normale, déboussolée, épuisée. Elle entendit derrière elle les pas d'un animal s'approcher. On aurait dit un lion. Elle voulut se retourner quand sa vision se troubla.

Ashanti s'était évanouie. Lorsqu'elle reprit conscience, elle entendit la voix d'un homme lui dire :

- " Bonjour Ashanti, il semblerait que je sois arrivé trop tard, n'est-ce pas? lui dit-il en la scrutant du regard. Ashanti leva les yeux et vit l'homme noir voûté s'appuyant sur une canne.

- Qui êtes-vous, lui demanda t- elle sur un ton presque arrogant tandis quelle se remettait sur pied comme si elle allait encore attaquer.

- Je suis Léopold Alias Kebala et je te cherchais, lui répondit-il en lui lançant un sourire chaleureux.

- Hm... encore un autre marchand ? Vous aussi, vous allez me vendre comme ces vermines ? Sachez que je ne suis pas prête à coopérer cette fois. Au plus profond des yeux d'Ashanti, Léopold pouvait entrevoir une couleur vive rouge briller, semblable à celle dune flamme.

- Tu es absolument fascinante jeune fille... ", remarqua Léopold qui contemplait ses yeux pénétrants.

En l'espace de quelques secondes, Ashanti croyait que le mystérieux homme n'était rien d'autre qu'un pervers, mais le fait que, devant une telle horreur, il ne s'échappa pas l'intriguait. Et puis, où était passé l'animal qu'elle avait entendu tout à l'heure avant de sévanouir. Avait-elle rêvé ? Elle avait entendu dire de la part d'autres esclaves que beaucoup d'événements assez étranges se succédaient dans les pays voisins en ce moment, des tensions entre des tribus qu'elle ne pouvait saisir. Alors, de manière hésitante, elle demanda :

- Que me voulez- vous ?

- Je veux t'emmener dans un endroit sûr désormais, où tu pourras contrôler ce pouvoir que tu as et éventuellement changer cette malédiction en bénédiction pour le mettre au service des autres.

Ashanti n'avait jamais rien connu d'autre que la solitude, la haine et les fouets pendant 18 années. Mais où irait-elle maintenant quelle a mit hors d'état de nuire ses persécuteurs ? Avait-elle-même une chance de survivre toute seule avec ce pouvoir ? Elle observa une fois de plus les victimes gisant au sol.

Percevant sa réflexion, Léopold lui expliqua encore :

- Ne t'en fais pas, ils sont juste un peu... disons amochés , ils s'en remettront.

- Comment pouvez-vous en être si sûr ? demanda-t-elle.

- À cause de ton coeur, Ashanti. Si tu avais voulu les éliminer, tu l'aurais déjà fait depuis très longtemps, crois-moi. Par ailleurs, sais-tu que Azar veut étymologiquement dire « Feu » ?

Ashanti frémissait :
- Comment ça, feu ?

- On ne se rend souvent pas compte de la signification de nos noms mais saches qu'à ta naissance, tes yeux avaient une forme particulière, ils avaient une couleur rougeâtre. Du fait des complications de la grossesse, ta mère est décédée lorsqu'on te nettoyait. Ton père, éperdument amoureux de ta mère en fut dévasté. Il allait s'approcher de toi pour te faire du mal lorsque tu te protégeas en érigeant une barrière de feu autour de ton corps. Alors il prononça ses paroles : « que le feu te consume jusqu'à la fin de tes jours comme tu as consumé la vie de ma femme ».

Ashanti ne sut que dire, devait-elle croire cet étranger ? Elle ne le crut pas jusqu'au moment où il ajouta :

- "Après cela, lorsque tu te fus calmée, ton père et une infirmière t'emmenèrent en Égypte pour te vendre car vous viviez dans un petit village soudanais non loin de la frontière égyptienne. Cest alors que le marchand d'esclave, d'origine iranienne, te rebaptisa Ashanti Azar.

Elle comprit que c'était effectivement ce que son maître daignait lui expliquer. Une tristesse épris le coeur d'Ashanti lorsqu'elle repensa à la mort de sa mère. L'avait-elle au moins regardée une fois ? Quelle malédiction, pensa-t-elle. Cette fois, elle ne pouvait pas retenir ses larmes.

- Ton père n'a pas vu que tu étais un cadeau venant du ciel, cette fois-ci je veux te donner la chance de tout recommencer car des personnes te cherchent en ce moment-même. Viens avec moi."

Ashanti n'avait rien à perdre. Avec un passé funèbre et un présent déroutant, le futur jonché d'incertitudes que lui proposait ce vieil homme pouvait-il lui faire plus peur ?

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 31, 2018 ⏰

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