« Accident de lumière : effet partiel produit par une lumière autre que celle qui éclaire la scène principale et qui vient rompre l'uniformité. »
Il y avait à Strasbourg un musée des Beaux-Arts. Passionné d'art comme j'étais et en troisième année d'études artistiques, je ressentis le besoin, et même le devoir, de m'y rendre. J'avais bien entendu emporté avec moi tout le matériel dont j'avais besoin : carnet de croquis, crayons de couleurs ainsi que quelques feutres. À chaque musée, je m'entraînais à reproduire, en croquis ou plus en détails, une ou plusieurs œuvres. Je me retrouvai alors, en ce dimanche matin hivernal devant ce grand musée qui s'ouvrait à moi. Je soufflai un dernier nuage de fumée blanc dans les airs avant de me précipiter dans l'entrée chaleureuse et réconfortante de cette grande bâtisse. Après avoir payé l'entrée avec quelques pièces du fond de ma poche, je fis un rapide tour de toutes les salles. Après ce rapide repérage, l'engourdissement de mes doigts gelés par le froid s'estompa finalement. Ceux-ci étant redevenus fonctionnels, je pouvais dès lors me mettre au travail. Je revins sur mes pas pour examiner plus soigneusement les peintures qui m'entouraient. Je m'assis devant un premier tableau : le peu de monde en ce matin enneigé me permettait de m'installer au milieu d'un couloir passant sans jamais gêner personne. Ma main se mit automatiquement à griffonner le papier à l'aide d'un crayon. Peu à peu, une femme avec un chapeau extravagant se dessina sous les coups de crayons pressés mais précis de ma main.
Après plus d'une heure de travail et un acharnement démesuré à gommer, retracer et regommer encore pour tenter de reproduire un drapé complexe en dentelle, je me levai finalement de ma place et partis marcher pour dégourdir mes jambes douloureuses après être resté une heure assis en tailleur. Je refis un tour du bâtiment et tombai sur une œuvre qui ne m'avait pas de suite interpellé mais qui à présent m'apparaissait comme éblouissante tant elle me sautait aux yeux, ce qui en soit était assez paradoxal car le tableau était composé de couleurs froides. Quoi qu'il en soit, mes yeux ne pouvaient se détacher des contours vagues peints par l'artiste. Je tentai de comprendre ce tableau. C'était un cimetière brumeux près d'un lac clair cerné par les montagnes. Le décor dégageait bien entendu quelque chose de sombre mais j'eus l'impression qu'il y avait encore quelque chose derrière cela, une sorte de sens caché que je ne saisissais pas. Cette simple peinture avait réussi à capter mon attention et avait désormais piqué ma curiosité à vif. Je m'assis sur le petit banc au milieu du couloir qui me permettait de m'installer confortablement devant le tableau afin de pouvoir le dessiner dans les moindres détails sans attraper un torticolis effroyable qui me forcerait à rentrer chez moi avant même d'avoir comblé ma flamme créative enfouie au plus profond de mon âme. La mine de mon crayon commença alors à frotter sur la surface du papier. Chaque ligne, chaque courbe, chaque trait était tracé et placé avec précision. Tout devait être parfait, ma concentration était à son comble, si bien que je ne remarquais pas le souffle chaud dans ma nuque, ni la respiration régulière près de mon oreille et la présence d'un individu dans mon dos qui observait attentivement chacun des tracés de ma main.
-C'est très beau ce que tu fais, finis-je par entendre au creux de mon oreille.
Je ne pus réprimer un sursaut et ma main dérapa le long de la feuille. Je ne pris même pas la peine de cacher mon agacement et soufflai longuement.
-Désolé d'avoir ruiné ton dessin, s'excusa-t-il mais le ton employé était plus amusé que réellement désolé.
Je grognai un petit « pas grave » qu'on ne pouvait qualifier de sympathique mais l'inconnu ne se laissa pas démonter pour autant :
-Tu es intéressé par les arts ?
-Non j'adore sortir faire quatre kilomètres sans voiture un jour neigeux pour du beurre, répondis-je tout à fait sarcastique.
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Accident de Lumière
RomanceLe jour où Jules se décida à sortir de chez lui un jour neigeux pour se rendre dans un musée, il s'attendait à passer une matinée tranquille, loin de tout, enfermé dans son art. Il était loin de se douter que c'était le jour qui ferait basculer son...