Chapitre 6

60 6 1
                                    




Ce soir-là, en rentrant à l'appartement, il n'y avait personne. Je fus légèrement surpris car Armin avait pour habitude d'être enfermé dans sa chambre, en pleine révision de ses partiels qui approchaient à grand pas. Mais pour une fois, il n'était pas rentré à la maison, ses chaussures ne traînaient pas dans l'entrée et sa veste n'était pas agonisante sur une chaise du salon. Une intuition, une sensation de mauvais augure s'empara de moi et je me saisis de mon téléphone pour appeler Armin ; en vain, il ne décrochait pas et je tombais toujours sur sa messagerie dès la première sonnerie. J'essayai de me rationaliser. Il ne se passait probablement rien et je devenais parano. Et s'il lui était arrivé quelque chose de grave ? Et s'il était sorti boire un coup ? Mon cœur balançait entre la peur pour sa vie et la peur pour la mienne sans que je puisse trouver la sérénité. J'étais maintenant persuadé que quelque chose clochait et je faisais les cent pas dans toute la demeure. Que faire ? Devais-je partir ? Rien n'était moins sûr. Cependant, dans un élan de panique, je décidai de préparer quelques affaires, juste au cas où songeai-je. C'est machinalement alors que je me rendis dans la petite pièce qui me servait d'atelier, où se trouvaient toutes mes œuvres, mes biens les plus précieux. Et je tombai alors sur la reproduction de la peinture qui m'avait amenée ici, Cimetière au bord du lac, d'innombrables souvenirs me revinrent en mémoires tandis que mes doigts se baladaient sur la peinture rugueuse sur la toile. Mais un bout de papier sur le bureau au fond de la pièce capta mon intention et je m'en saisis immédiatement. C'était un simple mot écrit de la main d'Armin (je reconnu son écriture étroite) sur le recto de la feuille Pardon. Mais sur le verso, était inscrit un emplacement Tiroir du bas, sous le faux fond. Comme frappé par la foudre, ni une ni deux je me dirigeai vers notre chambre. La petite commode à côté du lit comportait trois tiroirs et je m'empressai d'ouvrir en grand celui du bas. Quelques médicaments traînaient dedans, je ne les avais jamais vu et leur étiquette indiquait des noms bien trop complexes. Alors je jetai le tout sur le sol et comme Armin l'avait mentionné, je découvris bel et bien un double fond. Des vingtaines, trentaines peut-être même cinquantaines de feuilles étaient éparpillées dans tous les sens. Il y avait également des photos de nous deux. Parmi les feuilles volantes, de nombreuses étaient manuscrites et on pouvait lire le fond de l'âme d'Armin mais il y avait surtout un dossier. Je le pris et découvris enfin la vérité. Le dossier contenait trois feuilles signées de la main Armin et datées jusqu'à ce jour.

« 20 mai

Sans toi chuis rien, jperds mes moyens. T'es le centre de mon univers, un satellite dans ma vaste galaxie, ma constellation préférée. Galatée mon amour ferait de toi Acis, roi de mes péchés. Tu me rendais meilleur chaque jour, mais moi j'ai tout gâché. J'ai promis de ne plus jamais recommencer. Mais promettre, c'est déjà trahir. »

« 21 mai

Tes yeux me criaient de rester mais ton corps priait pour que je m'en aille. Parce que je te faisais mal à l'âme et que je t'atteignais par coups et blessures. Et toi tu restais là avec de grands yeux vides, prêt à me suivre, prêt à subir encore. Mais tu comprends pas ça, que le soir y a cette part obscure de moi qui ressort, que les coups ne cesseront jamais ? Tu comprends pas ? Y a jamais eu d'alchimie entre nous, tout a été physique dès le début, de nos apparences à nos désirs charnels jusqu'à ces putains de coups. Alors non tu ne m'aimes pas; tu me désires. Tu crois ne pas être capable de vivre sans moi et moi je crois que si on continue ce sera moi qui ne pourrai plus vivre sans toi, alors fuis. Fuis, maintenant, pendant qu'il est encore temps, avant que je ne prenne goût à la violence. Tu vivras bien sans moi, tu mérites mieux que ce connard perdu dans ses idées noires, quelqu'un t'attend quelque part, il te traitera comme l'objet le plus fragile à ses yeux, le plus cher de ses désirs. Et ce gars-là c'est pas moi. J'peux pas t'apporter l'amour et la douceur dont t'as besoin. J'ai que la haine et la brutalité. Et ouais je t'aime, mais je sais bien de quoi je suis capable. Aujourd'hui je t'aime ce soir je cogne demain je te hais l'an prochain n'existe plus. Enfuis-toi. Si tu m'aimes assez, enfuis-toi. J'veux plus te faire de mal. Enfuis toi, il est caché dans mon âme, le démon noir aux yeux jaunes injectés de sang, il sait mes faiblesses, j'veux plus tout ce mal. Pars. »

« 22 mai

Puis je t'ai regardé et tu m'aimais encore. Alors chuis parti. Comme un lâche qui simulait un acte de bravoure. Dans ton sommeil, j'ai récupéré mes affaires qui traînaient, mon pull, mon jean et mon paquet de Marlboro, chuis monté dans ma caisse et j'ai roulé jusqu'au bout de la nuit, accompagné par la pluie, mes mégots incandescents et mes larmes. J't'ai laissé dormir cette nuit pour que t'aies pas à dormir une éternité. »

J'ai levé la tête. Il pleuvait dehors ; et moi, j'émergeais de mon berceau d'illusions en réalisant qu'Armin était parti. C'était fini. Je remarquai à cet instant même l'armoire face à moi éventrée, il ne restait rien de la présence d'Armin à part ses lettres.

Accident de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant