Quatre mois plus tard, je quittai mon appartement insalubre d'étudiant et emménageai chez mon amant qui logeait dans un petit appartement près du centre-ville acquis grâce à l'héritage qu'il avait obtenu suite au décès de ses parents. Certes, il aurait pu vivre dans sa maison d'enfance, il aurait pu, mais c'était avant tout la maison de ses parents et leur absence se serait trop fait ressentir, les souvenirs auraient envahi chaque pièce et il y planerait une ambiance beaucoup trop macabre. Il avait donc quitté l'ancien cocon familial pour s'installer à Strasbourg pas loin de son université. Armin faisait des études de droit et espérait pouvoir devenir avocat international. En attendant, pour pouvoir subvenir à tous ses besoins, il travaillait au musée des Beaux-Arts. Il aimait bien l'art, et il avait aussi beaucoup appris grâce à ce job. Il disait que ce travail était « un ressort pour la culture ». Je trouvais ça bête, j'étais persuadé que la culture était partout, qu'on pouvait la croiser dans chaque coin de rue si on acceptait de la voir et de la recevoir. Pour moi un musée n'était qu'un de ces endroits parmi tant d'autres, mais il disait ça avec tellement de conviction que je souriais simplement et le regardai avec toute la tendresse qu'il m'inspirait.
Rapidement la routine s'installa sans que cela ne nous gêne plus que cela. La semaine nous partions chacun de notre côté, lui à sa fac de droit, moi à l'école des Beaux-Arts. Lorsque le week-end venait, c'était le temps de toutes les possibilités, nous sortions le vendredi soir, souvent en boîte et dansions toute la nuit. Nous ne revenions souvent pas avant 6 heures du matin et la plupart du temps bien éméchés puis nous couchions ensemble. C'était parfois tendre, rempli de caresses, de chuchotements au creux de l'oreille et parfois c'était brutal, charnel, bestial, on n'échangeait ni mot ni regard. Nous passions si vite d'une extrême à l'autre que j'en étais pris de vertiges. Je ne réagissais jamais de la même façon. Parfois j'avais besoin de ce changement, il était un bol d'air frais s'infiltrant dans mes poumons et permettant de me vider du trop plein d'émotions et d'ondes négatives qui pourrissaient ma tête. Mais à l'opposé, il y avait des fois où cela cassait quelque chose en moi, où ça ne faisait que me peiner et me blesser, pas sur le moment mais juste l'instant d'après, et j'endurais cette souffrance injustifiée. Et il y avait aussi simplement des fois où cela me rendait totalement indifférent. Notre couple n'était pas le plus stable, il était bien au contraire bancal. Il y avait des jours où on se sautait dessus dès que l'on se voyait et où l'on passait tout notre temps ensemble, complices, il y avait les fois où on se criait constamment dessus, puis il y avait les fois où on se fuyait, il y avait un problème, mais aucun de nous ne voulait se l'avouer et tenter de le régler.
C'était un de ces nombreux samedi soirs. Le début de l'été se faisait ressentir, l'ambiance se faisait pesante, l'air était lourd, la chaleur en devenait étouffante et le bruit des voitures suffisait à couvrir le carillon des insectes nocturnes. Il était si tard qu'il en était presque tôt. Armin avait bu, plus que moi, plus que quiconque, il tenait à peine sur ses frêles jambes. Accroché à mon cou, nous remontâmes la rue jusqu'à notre appartement. Il vacillait, ne cessait de rire bêtement et je pouvais sentir son haleine forte souffler sur mon visage. A peine rentré, Armin se jeta sur moi, il me retira ma chemise avec véhémence tout en s'emparant de mes lèvres. Au vu de l'état dans lequel il se trouvait, je le repoussai. Il était hors de question que je passe la nuit avec un homme qui n'en aurait aucun souvenir le lendemain. Il fronça ses sourcils et je vis la colère monter en lui et déformer peu à peu chaque trait de son ravissant visage. Il récidiva en m'embrassant avec fougue et de nouveau je le repoussai en mordant sa langue trop entreprenante. Je ne suis pas sûr de ce qui se passa ensuite. Cela me semble encore irréel, comme un lointain souvenir qui se confond avec un mauvais songe. Peut-être était-ce l'alcool que j'avais ingurgité au cours de la soirée, mais sans que je m'y attende, la situation dérapa. Armin tentait de m'embrasser et l'instant d'après il me menaçait. Il soutenait que l'appartement était sa propriété et que si je refusais de coucher avec lui, il me mettrait à la porte. J'étais certes un peu soûl mais pas totalement con, je ne pouvais pas me retrouver à la rue à cette heure-là, le quartier n'était pas un lieu de sûreté et je n'avais nul part où aller. Je décidai alors de lui tenir tête et rapidement une dispute éclata entre nous. Les insultes fusèrent, des mots ignobles sortirent de sa bouche et je ne peux garantir qu'aucune atrocité sortir de la mienne. Et soudainement une vague de chaleur s'empara de tout mon corps, débutant par mes orteils, parcourant chacune de mes lombaires, remontant le long de mon échine, traversant chacune de mes vertèbres et finissant sa course sur ma tempe. La douleur ne tarda pas à fuser à son tour. Je ne parvenais pas à y croire. Sonné j'étais, blessé je chancelais. Je commençai à regretter de ne pas avoir quitté les lieux quand il le voulait. Rapidement un deuxième coup suivit. La douleur dans mon estomac me coupa la respiration un court instant puis je rendis rapidement tout ce que contenait mon estomac sur le carrelage. Les larmes brouillèrent ma vision. A genoux sur le sol, je me sentais impuissant. Ce furent des larmes traduisant ma douleur bien-sûr, mais également ce que l'homme que j'aimais et que je pensais connaître brisa en moi. Pour la première fois, je craignais pour ma vie.
Quelques coups plurent encore sur moi ce soir là. Je ne me défendais pas un instant. Le choc, l'amour ou seulement la faiblesse, je ne sais pas. J'avais capitulé. Armin réussit par je ne sais quel miracle à me ramener dans sa chambre et me mettre dans son lit. Ce fut une aube longue, bestiale et sans une once d'amour ; une aube sans couleur.
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Accident de Lumière
RomanceLe jour où Jules se décida à sortir de chez lui un jour neigeux pour se rendre dans un musée, il s'attendait à passer une matinée tranquille, loin de tout, enfermé dans son art. Il était loin de se douter que c'était le jour qui ferait basculer son...