Épilogue

74 8 3
                                    

Les années sont passées. Après le départ d'Armin, j'ai rassemblé mes affaires et ai déménagé à Bruxelles. L'appartement d'Armin dans lequel on vivait a été mis en vente juste après que je l'ai quitté, me prouvant que même si je ne le voyais pas, Armin était toujours quelque part dans la nature. Parfois je m'imagine où il peut vivre : à des milliers de kilomètres d'ici peut-être, ou alors juste dans la maison de son enfance dont il m'avait tant parlé sans jamais en préciser l'emplacement. Je repense souvent au soir de son départ, au contenu du tiroir, les lettres que j'ai soigneusement conservé et ces cachets. Mon imagination s'emporte alors et je m'imagine qu'il était souffrant, malade, peut-être au bord de la mort ou pire encore, sous l'emprise de substances illicites. C'est alors que je me refais le film dans ma tête jusqu'à en avoir mal au crâne, essayant de connecter les points, en espérant me souvenir d'un détail qui me donnerait les réponses mais j'ai fini par comprendre qu'il n'y en avait aucune. Avec le temps je me suis fait à l'idée, je sais qu'obtenir des réponses ne m'apporterait aucun réconfort et que rien au monde ne pourrait excuser son comportement. Il m'arrive de me lever en plein milieu de la nuit à cause de cauchemars où on me bat jusqu'à la mort et alors je me lève et je peins. Au début, je laissais des messages sur son répondeur puis au bout d'un certain temps, je suis tombé sur une voix mécanique m'indiquant que ce numéro n'était plus attribué.

Je crois parfois le voir dans des coins de rues, mais ce n'est jamais lui, seulement mon imagination. Je me demande souvent si j'aurai eu la force de partir. Peut-être que s'il ne l'avait pas fait, je serais mort à l'heure actuelle.

Aujourd'hui je vis seul, animé par le souvenir d'un brun étrange, petit et filiforme. Les jours de neige, je repense à ces deux yeux vairons intenses qui dissimulent si bien le mystère et me rappellent toute la dualité de son existence: amant le jour, bourreau la nuit. Je doute que quiconque puisse me refaire vibrer tel que tu l'avais fait autrefois. Cette époque me semble si lointaine que je crains avoir été victime d'un songe. Mais c'était bien réel. Tu as inscrit en moi les marques incandescentes de ta violence et je doute qu'un jour je puisse me donner à quelqu'un comme à toi; j'aurai bien trop peur de m'y brûler à nouveau.
Aujourd'hui, je rêve de te retrouver pour te dire que tu es destructeur mais que bizarrement, tu m'as construit tel que je suis aujourd'hui.

À notre relation avortée et notre amour enterré :

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo

Accident de LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant