Une plainte, perdue dans les bois..

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- Maître, qu'est-ce donc ce bruit ?

    Une plainte lugubre et triste retentit à la fin de ma phrase, comme une réponse muette. Cet endroit me donnait la chair de poule et long frisson courut le long de mon dos. Mon maître, immobile dans son manteau pourpre, leva ses deux mains jointes à son front. Il resta là quelques secondes et il se remit en marche. Quelques pas plus loin, sous un gros chêne mort, se tenait une jeune femme. Elle ne devait pas être âgée de plus de vingt ans et sa longue robe éliminée se perdait dans les racines de l'arbre, comme prisonnière de ce lieu. Une corde grinçante se balançait paresseusement au bout d'une grosse branche. La jeune femme se mit à pleurer à notre approche, en nous suppliant dans une langue inconnue entre ses sanglots. Mon maître s'agenouilla devant elle et posa une main sur son genou.

- Viens petite, rapproche toi. Voici une plainte. Il me semble que c'est la première fois que tu en vois une depuis le début de notre rencontre.
- Qu'est-ce donc ?
- C'est une âme, généralement un suicidé, qui n'arrive pas à se détacher de ce qui l'a tourmenté. 

    Suite à cette phrase, je relevais les yeux pour les poser sur la jeune femme. Elle semblait si triste, j'avais tellement de peine pour elle ! Mon maître fouilla alors dans une des poches de son manteau en sortit une magnifique paire de ciseaux dorées. Délicatement, il toucha le cœur de cette plainte et dans un éclair très fin, en sortit une ribambelle de souvenirs.
    Une naissance accueillit avec joie, une enfance paisible au milieu d'une campagne verdoyante, un homme massif, des cris et des pleurs, un enlèvement, un mariage forcé, une corde qui se balance sous sa lourde charge ...
    Des larmes coulèrent malgré moi sur mes joues rougies par le froid. Cette femme a été enlever puis marier de force à un inconnu qui la maltraitait ..  Elle ne pouvait plus supporter cette charge alors elle s'est pendue au chêne présent dans son enfance. Mon maître, impassible saisit le film au niveau du dernier souvenir et le coupa de ses ciseaux. Les souvenirs partirent alors en cendres et se dispersèrent dans le vent. La femme poussa alors un soupir et se jeta dans les bras de mon maître, mais avant de le toucher elle se transforma elle aussi en cendres dispersés par le vent.

- Qu'avez vous fait ?
- Je lui ai supprimé ses souvenirs pour qu'elle puisse s'envoler.
- Toutes les plaintes sont-elles comme ça ?
- Bien sûr que non ; certaines sont plus attachées à leur souffrances et sont difficiles à libérer. Méfie toi toujours des plaintes récalcitrantes !
- Pourquoi ? demandais-je sans comprendre pourquoi.
- Une plainte souffrante peut te faire du mal, que ce soit physique ou moral. Celle-ci, heureusement, n'a partager que sa peine.

    Sur ces mots, il rangea soigneusement ses ciseaux et nous repartîmes sur la grande route. Quand je jeta un regard vers le grand chêne, je vis un corps se balancer le long d'une corde, et quand j'eus cligné des yeux, seul le grincement des branches dans le vent me fut parvenus.


Extrait du journal d'Emilia Jasöp,
Grande Prêtresse des Âmes,
an 120 avant notre ère.

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