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"C'est peut-être pas très correct d'en parler mais je ne savais pas quoi faire d'autre. Il faut que tu ne le dises à personne, je ne veux pas lui causer d'ennuis. Mais tu n'es pas du genre à causer des ennuis, et puis voilà, comme ça ne concerne pas que moi, ça m'embête. C'est pas clair mais tu vas comprendre, je vais t'expliquer. Je..."

   Je lui fis mon plus rassurant sourire, et les sourcils soucieux de celle qui se dévoue. Qu'est ce qui te tracasse ?

   Cathy n'avait jamais vraiment semblé très impressionnable, alors sa conduite paniquée ne m'aidait pas à mieux cerner ses états d'âme. J'étais son amie, et c'était auprès de moi qu'elle venait chercher conseil ; mon orgueil aurait dû être satisfait, mais il se trouvait que ce moment-là était devenu un des rares qui pouvaient encore m'effrayer. De ceux dont je n'arrivais pas à tirer de conclusions, comme si mon cerveau refusait de réfléchir ou de simplement voir une évidence qui lui déplaît.

   Après son monologue incompréhensible et fumeux que je ne prenais presque plus la peine d'écouter, elle est finalement parvenue à m'expliquer ce qui lui était arrivé. C'était à propos de Mickaël.
   La veille, dans un excès de ce qui parassait avoir été du courage stupide ou de l'impatience, il lui avait parlé, et avoué ce qu'elle ne voulait pas entendre. Il y en a certains que l'amour corrompt jusqu'à ce qu'on ne les reconnaisse plus, mais il semblait que notre amis fusse un aussi maladroit amant que dans toutes les autres de ses entreprises. Je n'ai pas plus de mépris pour lui que pour les autres, puisque j'en ai pour tout le monde.

   Je le savais, moi, que cette scène était imminente, mais jamais je n'aurais imaginé qu'elle aurait pris de telles proportions. Mickaël avait des sentiments pour Cathy ? Évidemment, elle se comportait comme la mère qui lui manquait. S'il ne faisait pas lui aussi partie de cette caste d'invisible dont nous étions tous trois issus, n'importe qui aurait pu faire le rapprochement. Cathy allait l'envoyer bouler ? Évidemment aussi, elle avait beaucoup trop de fierté pour se laisser porter par les évènements.
   Mais jusque là je ne pensais pas que la faille dans sa loyauté était si proche. Je ne pouvais tout simplement pas concevoir qu'elle lui en veuille autant, après la confiance presque aveugle qu'elle lui portait comme à un frère, il y avait tout juste deux jours.

   En y faisant plus attention, la faille me sautait aux yeux, dans tout son gigantisme. C'était la confiance justement, qui venait d'être rompue, et qui précipitait la chute de la loyauté avec elle. Théo n'avait pas une telle confiance absolue en ses amis, et il ne l'aurait probablement jamais, à voir comment il se comportait avec eux. Cela signifiait pour moi une ouverture à laquelle je n'avais jamais pensé, mais j'avais besoin de repos avant d'aborder sérieusement la question.

   Je crois que je me suis à peine rendue compte qu'elle était partie. Cette histoire me faisait plus peur que je ne voulais bien l'admettre.

   J'avais peur que la pôvre Cathy, m'obligeant à rester auprès d'elle par "solidarité", m'empêcherait de tendre plus loin, au bout de mes bras trop cours, ma toile omnisciente. Elle en revanche avait gagné sa bataille, et elle le savait. De son point de vue, ce n'était qu'une intuition, que je la soutiendrai. Du mien, j'étais enfermée entre le rôle que je devais tenir à ses côtés, et la sympathie que j'avais développée pour elle à force de la côtoyer. J'avais peur que me vienne vraiment l'envie de l'aider, et que cela ne détourne mon regard, pourtant fasciné, de mon but.

   C'est cette fascination qui remplissait mes journées depuis aussi longtemps que je voulais bien m'en souvenir. Avec à sa source un sentiment qui m'animait, vital, pour lequel je n'avais encore pas trouvé de nom.

   Alors il était hors de question que je le perde. Un dieu trop précieux, un ange tombé du ciel sur ma route vers le purgatoire ennuyeux. Mon ange.
   Théo tu étais mon ange plus encore qu'une énigme, depuis bien avant ce jour bien sûr, mais aussi tu le resta longtemps après. Pour toi, il fallait que je tienne mon rôle, quitte à haïr la seule personne au lycée qui savait que j'existais.

   En remontant les allées du centre-ville, je jurais encore une millième fois que je découvrirai pourquoi c'est Théo que j'ai suivi ce jour-là, et qu'alors je pourrais m'occuper de Cathy sans états d'âme. Mais je n'ai pas pu empêcher mes mains de trembler contre la porte, contre les clés ni contre la serrure. Peut-être savaient-elles que la situation ne tenait plus que sur le bout de mes doigts.

   Rémi avait déjà mangé quand je suis arrivée, et il avait collé le post-it de Maman dans l'entrée.

Je reviens cette après-midi, ne m'attendez pas et prenez votre douche.

   Un peu plus de temps libre pour nous, alors. Je ne suis pas passée à table, parce que je n'en avais pas envie, et me suis rendue directement dans ma chambre pour me reposer. Et me confier.

*  Doudou, j'ai beaucoup d'affection pour Cathy tu sais, mais c'est Théo qui me fait me lever tous les matins. Donc ça ne serait pas la trahir que de la soutenir, n'est-ce pas ? Ça ne serait pas vraiment un mensonge.*
*  Tu te mens à toi-même, tu sais bien que c'est à cause de toi qu'elle est aussi seule aujourd'hui. Et que fais-tu de Mickaël ?*
*  Mickaël se débrouillera mieux sans elle, je crois que tout seul il peut devenir quelqu'un. Elle est tentaculaire, elle a réussi à m'influencer même moi !*
*  Cathy est ta seule porte de sortie de l'emprise que Théo a sur toi. Tu arrives à te souvenir de comment tu étais avant de le rencontrer ?*
*  Non, de moins en moins, mais de toutes façons je n'étais rien d'intéressant. Il vaut mieux oublier ça, et se concentrer sur l'avenir. Et puis je ne vois pas où est le problème avec Théo, je ne me suis jamais sentie aussi vivante que depuis cette histoire.*
*  Il n'y a pas un risque que tu deviennes une deuxième Alice si tu continues comme ça ?*
*  Alice ? Ça n'a rien à voir !*

   Ces conversations s'achevaient toujours quand je pensais à Alice. Il n'y avait jamais besoin de beaucoup de mots, Doudou comprenait toujours ce que je ressentais, et il arrivait toujours à poser des questions auxquelles je ne pouvais pas répondre ; le pire, c'est qu'il avait souvent raison. J'aurais dû l'écouter parfois, mais avec un égo comme le mien c'était impossible.

   Le spectre de ce qui était arrivé à Alice me terrifiait toujours, et je refusais de croire que je ne me rendrais pas compte si je m'y dirigeais moi aussi, alors je ne voulais pas parler de ça avec lui. Non, je n'étais décidément pas comme Alice, ce n'était qu'un de ces cauchemars récurrents qui viennent teinter les rêves avant de disparaître, ou tout comme.

   Mais cette fois, j'avais vraiment besoin de penser à cette nouvelle porte que je venais de mettre à jour dans le casse-tête.
   Seule, puisque même une peluche ne voulait pas entendre ce que j'avais à dire.

Hein, Doudou ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant