1 - Aïe

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En cette matinée du mois de mars, la fraîcheur de la chambre tire Claire de son sommeil. Elle va devoir quitter la chaleur de la couette pour monter le chauffage, même si elle n'a aucune envie d'abandonner le cocon douillet de son lit. Elle étend le bras et attrape l'oreiller de la place vide, à sa gauche, place inoccupée depuis longtemps, bien trop longtemps, pour le plaquer contre elle et se donner l'illusion d'une présence. Ce froid ne se trouve pas seulement dans la pièce, il demeure aussi en elle. Froid et vide, cela va bien ensemble pour accompagner sa solitude.

Elle doit prendre son courage à deux mains, d'autant plus qu'elle a gardé son jogging quand elle s'est mise au lit, après s'être endormie tard sur le canapé. Elle ne devrait pas se congeler en moins de trente secondes.

C'est simple, il lui suffit de rabattre la couette et de sauter au bas du lit. En ayant bien calculé le coup, les pieds doivent tomber directement dans les pantoufles. D'un seul mouvement, la main attrape la robe de chambre et, en moins de quinze secondes, elle est parée pour l'Arctique.

Ça aurait pu fonctionner à la perfection, c'était pourtant ainsi dans sa tête, le scénario a été mûrement réfléchi. Mais non, il a fallu que l'écartement des chaussons s'avère moins important que dans son souvenir. Son pied droit s'est retrouvé sur la mule gauche pendant que le pied du même côté a tenté de rentrer dans la même pantoufle : un vrai croc-en-jambe.

Pourquoi a-t-elle voulu se relever, quand, dans le même temps elle ne trouvait pas l'entrée des manches de sa robe de chambre ? Hein, pourquoi ?

Encore une matinée qui commence de la pire des façons. Par un vol plané qui se termine en atterrissage d'urgence contre la commode Louis XV, cadeau de sa mère. Ce n'est pas comme si elle n'était pas habituée aux catastrophes. Elle les attire comme un aimant.

- Aïee !

le plancher de la chambre est recouvert d'une épaisse moquette.

Eh, oui, quand elle se réveille, elle n'a pas toute sa lucidité, elle doit attendre le second café bien fort et sans sucre pour qu'elle daigne montrer le bout de son nez. Elle aurait pu aller tranquillement régler le convecteur, sans avoir l'obligation de passer ses mules et éviter tout ce qui a suivi cette malencontreuse décision.

- Bordel, je vais ressembler à un boxeur après un championnat du monde perdu ! peste-t-elle pour elle-même.

Sa joue et son œil droit commencent à se colorer d'une teinte indigo, une bosse croît sur son front, sa lèvre supérieure est fendue et laisse couler un peu de sang. Le reflet que lui renvoie ce cruel miroir la déprime. D'autant plus, qu'avec sa peau laiteuse de rousse, les bleus, noirs et jaunes de l'hématome se révèlent très contrastés, limite flashy. Elle est bonne pour porter de grandes lunettes de soleil toute une semaine.

Claire traîne sa peine jusqu'à la cuisine, où elle branche la cafetière, déjà pourvue du nécessaire, la veille au soir. Au vu de sa lucidité au réveil, il est facile de comprendre pourquoi elle ne le prépare pas le matin. Le premier mug est avalé d'une traite, pour que le divin nectar puisse commencer à activer sa matière grise. Au fil des minutes, ses neurones se reconnectent, son encéphale reboote lentement mais sûrement.

Trois biscottes beurrées et enduites de confiture à la fraise, tout comme le bout de ses doigts, accompagneront la seconde tasse.

Eh bien, ces vacances démarrent en fanfare. Comment va-t-elle bien pouvoir occuper ces dix jours

Depuis qu'elle est seule, Claire n'a de goût pour rien. Elle erre dans son appartement, parfois dans les rues, mais toujours sans but précis. Ses jambes la portent où elles le veulent bien, car son cerveau ne dirige pas grand-chose, tout au plus, les fonctions vitales indispensables à la survie de son corps. En outre, avec sa tête qui a l'air d'être passée sous un rouleau compresseur, elle se voit mal sortir dans Arles pour aller se balader. Sa fierté ne le lui pardonnerait pas.

La timide - McNamara 1 * Sous contrat d'édition *Où les histoires vivent. Découvrez maintenant