Chapitre 2

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Il leur avait fallu trois jours pour atteindre la lisière de la forêt Pourpre. Trois jours de marche intensive, certes à l'ombre des arbres, mais non dépourvus de la chaleur estivale pour autant. Ils avaient dans un premier temps remonté le ruisseau qui coulait non loin de leur cabane, en profitant pour se désaltérer à intervalles réguliers. Afin de ne manquer de rien, ils avaient emporté quelques réserves de viande et malgré la saison, la forêt regorgeait de baies juteuses. A plusieurs reprises, les deux compagnons avaient aperçu un daim, qui s'était à peine écarté à leur passage ; des lapins détalaient parfois à leurs pieds, et il y avait même de petits écureuils gris. La forêt foisonnait de vie. Leurs sens étaient sans cesse mobilisés tant il y avait à contempler, à écouter et à sentir.

Au matin du quatrième jour, ils atteignirent la bordure de la forêt. Eileen fut impressionnée par cette coupure nette entre la fin des arbres et le début de ce nouvel espace qui s'étendait devant eux. Elle aurait nommé cela une plaine, sauf que ce n'était pas plat. Un vaste océan d'herbe et de végétation se profilait : arbustes épars, bosquets aux touffes d'herbe roussies à force de rester exposées au soleil, arbres dont on aurait dit que la graine avait été jetée au hasard. Aucun chemin n'était visible. Sous ce ciel bleu vif et la lumière de l'astre solaire, presque agressive, tout paraissait coloré. Le vert de l'herbe, le brun de l'écorce d'un arbre, le hâle de la peau d'Eno, le rouge teintant le cou d'un oiseau... ce ballet de nuances éclatantes donnait presque le tournis à la jeune femme. Dans la forêt, la végétation, assez dense, filtrait la lumière et une pénombre constante régnait. Ici, tout se distinguait à des lieues à la ronde. De temps à autre, une légère brise agitait les feuillus qui se balançaient alors mollement, au rythme de l'air.

– On fait une pause ? proposa l'ancien guerrier à Eileen.

Comme celle-ci hochait la tête, ils s'assirent à même le sol, s'adossant aux derniers arbres de la forêt. Eileen laissa échapper un soupir de contentement et s'empressa de déguster les baies cueillies le matin même. Le jus sucré glissa le long de son menton et elle s'en goinfra jusqu'à n'en plus pouvoir.

– Tu sais si le hameau est encore loin ? s'informa la blonde, une fois son encart terminé.

– Tu ne te souviens vraiment plus de rien ? s'enquit Eno.

Elle secoua la tête.

– Je suppose qu'il devait pas être très loin de la forêt, mais je n'ai aucune idée de la direction... tu crois qu'on va trouver ?

– Si on a le même en tête, je devrais pouvoir m'orienter à peu près, s'avança son tuteur.

Il lui tendit un morceau de viande cuite qu'elle accepta avec joie. Songeuse, elle le dégusta tout en essayant d'imaginer Eno sur un champ de bataille. Il avait emmené une vieille épée ainsi que son arc et plusieurs couteaux, mais Eileen avait du mal à se le représenter en féroce guerrier. Elle se rappela soudain sa fascination, lorsqu'elle était enfant, envers ces hommes qui tuaient au service de leur patrie. A ses yeux, ils étaient alors de véritables héros vivants. Quelle n'avait pas été sa surprise lorsque Tenhris était arrivé au hameau de la Lande, par une soirée venteuse et pluvieuse, et avait demandé refuge. Cette scène faisait partie des seules dont elle se souvenait avec une précision effrayante. Toutes ses croyances et l'image du combattant légendaire qui avaient bercées son enfance s'était effondré face à la réalité : Tenhris n'avait rien d'un guerrier. Il avait peur, sans cesse peur. Peur d'être rattrapé par des poursuivants tout droit sortis de son subconscient, sans aucun doute. Complètement paranoïaque, il ne sortait jamais sans son arme ‒ du moins s'il sortait, ce qui était déjà rare en soi. Eileen se le remémorait plutôt jeune, mais elle n'aurait su dire avait exactitude, le temps ayant faussé ses impressions et ses souvenirs. Bougon, bavard dès qu'il s'agissait de critiquer quelque chose... l'opposé de l'image du guerrier qu'elle s'était forgée dans son imaginaire. Et elle ne pouvait pas vraiment dire qu'Eno se rapprochait davantage de ses idéaux.

Le HurlementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant