Chapitre 4

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Eileen devina que la silhouette à quatre jambes qui galopait dans leur direction était un cheval. Un amas de poussière se soulevait dans son sillage. Il filait droit sur eux. Les deux compagnons contemplèrent cette apparition inespérée, trop sidérés pour prononcer la moindre phrase.

Tout aussi brusquement qu'il était apparu, le couple se stoppa à quelques pas d'eux dans un arrêt net, propre et précis. Eileen plissa les yeux et distingua enfin le cavalier. Une barbe touffue encadrait un visage ovale, rougi par le soleil. Ses grosses lèvres laissaient entrevoir des dents à la propreté plus qu'incertaine et quelques rides plissaient le bas de ses joues aux pommettes bien rondes. S'il fallait remarquer quelque chose, sur cette figure déjà marquée par les années, c'était le nez, proéminent et d'une longueur inhabituelle, si bien qu'il donnait un air un peu comique à cet homme. Deux pupilles irisées d'un bleu délavé les fixaient.

Le nouveau venu descendit de sa monture et se réceptionna avec souplesse au sol. La main sur son chapeau de feutre noir, troué de part et d'autre, usé par l'habitude, l'homme l'ôta en un salut qui se voulait solennel. Ses ongles épais et couverts de crasse reflétaient le reste de son accoutrement : un pantalon en jean bleu, de la même teinte que ses yeux, parsemé de tâches aux origines douteuses et une chemise autrefois blanche, qui virait au brun et gris, sans parler de toute la sueur qu'elle devait recueillir. D'épaisses bottes noires et une ceinture aux larges bords clôturaient l'ensemble du personnage et annonçaient une personnalité hors du commun. En effet, le type s'approcha, chapeau toujours à la main et déclina son identité :

– Danwaël Darlest, mais on m'appelle Dan.

Sa voix enrouée à l'accent prononcé, bien qu'elle ignorait d'où il provenait, retourna Eileen. Sa première rencontre avec une personne du monde extérieur – hormis Towen Freust. Elle se racla la gorge et balbutia, hésitante :

– Eileen.

– Eno, ajouta l'ancien guerrier.

Les deux hommes se jaugèrent un court instant, durant lequel Eileen garda également le silence. Derrière son propriétaire, le cheval restait immobile. Le dénommé Dan finit par faire demi-tour et commença à fouiller dans les grandes sacoches en cuir qui pendaient de chaque côté de la monture. Sa frénésie fit écarquiller les yeux de la jeune femme. Il en tira plusieurs objets et revint vers eux, leur tendant un pot au couvercle plein de graisse. Eileen fronça les sourcils, prête à refuser poliment, tant l'aspect du récipient la répugnait.

– C'est de la pommade contre les coups de soleil et les brûlures, indiqua alors l'étranger. Étales-en franchement, faut que ta peau soit bien graisseuse.

Retenant un rictus de dégoût, Eileen s'empara de l'onguent et l'appliqua un peu partout. Entre-temps, Darlest avait fait jaillir de ses mains une casserole, une bouteille thermos, une boîte et quelques pierres qu'il disposa au sol, de manière à ce qu'elles forment un cercle. Puis il retourna à sa sacoche, en tira des morceaux de brindilles qu'il ajouta au centre du foyer.

– Un feu ? Par cette chaleur ? Vous êtes sûr que... commença Eno.

– Y'a pas de souci, acquiesça Darlest de son ton rauque.

Puis, de la boîte, il tira une allumette, la gratta, et une flamme vacillante apparut au bout de celle-ci. Il enflamma le tas de bois puis se plongea de nouveau dans une recherche acharnée. Du fond de cette même boîte, il tira un cigare.

– T'en veux un, mon gars ? proposa-t-il à Eno.

Ce dernier secoua la tête. Il ne demanda rien à Eileen, qui faillit s'outrer de cet oubli, avant de se rappeler qu'elle n'avait jamais rien fumé de sa vie et qu'elle ignorait le goût qu'avait ce truc. Pour le moment, elle aurait préféré avoir de quoi s'humidifier la gorge. Elle passa le pot de crème à son tuteur, et essuya ses doigts graisseux sur son pantalon. Effectivement, elle sentait déjà les pores de sa peau revivre.

Le HurlementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant