Chapitre 1 : Sommes nous responsables de nos désirs ? (4/4)

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L'humain désire fuir la condition humaine.

Pour mener à bien cette troisième et dernière partie de notre dissertation, nous allons nous baser sur l'œuvre La condition de l'homme moderne d'Hannah Arendt, l'une des philosophes les plus pertinentes que j'ai pu lire jusqu'à présent.

Nous allons à présent pointer du doigt que le point commun entre le volontarisme (I/.) et le déterminisme (II/.) est qu'ils supposent tous les deux qu'il faut maitriser les désirs. C'est à cause de cette erreur qu'ils ne nous permettent pas de penser comment nous sommes responsables de nos désirs.

Hannah Arendt fait un constat anthropologique, l'homme a toujours refusé son humanité. Citons quelques exemples : On remarque dans la pensée Grec, à savoir Platon, que « Le corps est le tombeau de l'âme ». Il s'agit là d'une condamnation de la part animale de l'homme, à savoir le désir dans le cas présent. Dans la pensée médiévale, la vie terrestre est un châtiment résultant du péché originel, un supplice à surmonter pour le salut de l'âme. Toujours plus loin dans notre raisonnement, la pensée techniciste : La science permet de constituer une maitrise de ce que l'homme et la nature ont de gênant et de pénible. Grâce aux avancées techniques modernes, l'homme a, en ses mains, les moyens de réaliser ce rêve de quitter son humanité.

Ce constat que l'humain désir fuir la condition humaine, parce que la technique contemporaine pousse ce rêve issu de la science-fiction à la réalité, nous enjoint à interroger les dangers d'un homme perdant sa condition. Ce qu'il faut penser, c'est un milieu que l'homme se serait entièrement donné, un milieu artificiel.

La différence entre la tyrannie et le totalitarisme est que ce dernier n'opère pas d'abord par la violence mais par la transformation du peuple en une masse dont les désirs sont uniformisés par la propagande. Lorsqu'Hitler a supprimé les chômeurs pour changer le taux de chômage, et lorsque Staline a fait disparaitre Trotski pour « corriger » l'histoire, chacun d'eux tente de faire advenir un discours « scientifique ». Ils font comme si leurs projets faisaient l'objet de résultats d'une nécessité historique ou naturelle. Or pour être objectif, le scientifique ne doit pas agir sur son objet. Le totalitarisme repose donc sur une confusion entre sciences et politique.

Il y a bien une différence entre sciences et politique. La science étudie les faits, elle est descriptive. La politique agit selon des valeurs, elle est prescriptive. Le point important ici est que le désir de fuir la condition humaine nous incline à confondre ces deux domaines et à faire comme si nos valeurs étaient seules possibles, c'est-à-dire nécessaire. Il a tendance à uniformiser les désirs.

Le danger, c'est la suppression de la possibilité de l'action. On ne parle pas ici de l'action physique au sens d'une relation de causalité, au contraire. On parle de l'action qui exige le milieu humain de la pluralité dans lequel, seul, nous acquérons notre identité en agissant. Agir définie la politique car cela suppose des hommes égaux, parce qu'ils peuvent nous comprendre, mais diffèrent, car c'est nous qui agissons. C'est la pluralité humaine !

De même, on peut dire que la pluie est responsable de l'inondation. Cependant, c'est seulement en un sens causal ! Or, on peut être causalement responsable sans l'être politiquement. Par exemple, Eichmann n'est pas causalement responsable de la mort de personne (n'en déplaise à certain) mais sur le plan politique, il est pleinement responsable de ses actions. Il a à en répondre ! Cela signifie qu'en leurs sens plein, l'action et la responsabilité nous définissent en tant qu'humain et n'existe que dans la pluralité humaine, autrement dit, dans la politique. (Il me semble important de préciser que le totalitarisme n'est pas un régime politique, il s'agit simplement d'une suppression massive de la pluralité humaine). De sorte que le danger, c'est de détruire la pluralité des désirs. Pour l'éviter, il faut reconnaitre que le désir nous constitue en tant qu'humain car dans le désir, nous changeons et nous faisons comme personne. Pour cela, le problème n'est pas de maitriser nos désirs car cela risquerait d'en nier la pluralité, mais au contraire, de voir qu'ils sont indissociables de notre responsabilité politique.

Pour conclure cette dissertation, sommes-nous, en définitive, responsables de nos désirs ? Nous avons d'abord refusé l'idée que, par force de volonté, nous pouvions pleinement maitriser nos désirs. En effet, il faut reconnaitre les causes extérieures dont nous ignorons qu'elles influencent nos actions. Mais ce déterminisme ne doit pas être confondu avec un fatalisme qui justifierait que l'on détruise la pluralité des désirs humains. Car c'est de cette pluralité que vient notre identité, et avec elle, la responsabilité politique de reconnaitre que seuls nos désirs nous permettent d'agir.

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