Chapitre 40

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C'est une fourmilière qui arpente le grand aéroport de Dublin en cette belle journée de juin. Les enfants n'ont pas pu fermer l'œil de la nuit, l'excitation d'un premier voyage hors terre-natale les a retenus des bras de Morphée. Et bien que l'envie d'arrivée essouffle la patience de Molly, la fatigue maintient tout de même le contrôle sur son comportement, à l'inverse, de son petit frère, qui n'arrête pas de sauter partout en demandant à Eve, puis à moi, quand nous allons arriver. En traversant le grand hall où nous nous arrêtons, je reconnais le lieu de mes retrouvailles avec Eve et ne peux m'empêcher d'y faire allusion en allant en parler à la principale concernée. Elle me fait alors part de son anxiété d'antan lorsqu'elle m'avait aperçu tirant ma valise au loin, dans une démarche des plus teigneuses. Notre relation a tellement progressé. Jamais je n'aurais pensé vivre cela, en arriver là avec elle en si peu de temps.

Jusqu'à présent ce voyage était enfoui sous une couverture de sensations : sensation d'irréalité, sensation de réveil imminent. C'est lorsque mon corps entre en contact avec le siège de l'avion que la réalité me revient au galop. Après plus de huit mois vécus en Irlande, je reviens aux sources comme nous le disons généralement. Mais en est-ce réellement un ? Vais-je assumer de retrouver ma maison, ses décors, ses objets du passé, cet ancien immeuble et qui plus est l'appartement de mon ancienne meilleure amie ? Habite- t- elle encore dans cette contrée du Sud ou a-t-elle pris le courage de vivre avec Jerémy ?
Au fond ces questionnements n'ont pas de valeur, ils ne sont le reflet assuré que de ce pur hasard auquel me prépare ce voyage. Soudain, encerclée par une soudaine onde de souvenirs, Marius me revient en mémoire. Je revois son regard intense et subjuguant, ses lèvres charnues et ses cheveux bruns bouclés mais son odeur corporelle qui, autrefois, avait la capacité de me faire tout aussi fondre que voyager, a finis par s'essouffler et tomber dans la cage des oubliettes.

***

Nous avons roulé plus d'une bonne trentaine de minutes après avoir rejoint les véhicules de Sophia et de Patrick. Maintenant je suis de retour à mon domicile d'enfance. Assise sur le canapé de l'appartement de mes parents, je me délecte de cette odeur qui émane du salon, un effluve de café et de jasmin. Mon regard se perd doucement et scrute avec attention chaque objet qui orne la pièce, chaque parcelle de ce lieu chargé de souvenirs comme si mes yeux étaient à la recherche d'une chose en particulier, d'un objet, d'un sentiment perdu que je ne saurais retrouver. C'est en tournant la tête en direction de mon ancienne chambre que tout me revient, des millions de souvenirs remontent alors à la surface, me rappelant, entre douceur et acidité, ce passé mélancolique. Je me lève sous le regard séduis du reste de ma famille et m'avance lentement. J'ai besoin de temps, j'ai besoin de me retrouver et par cet intermédiaire, retrouver cette solitude dans laquelle j'ai grandis. C'est tout naturellement que je quitte le salon sans répondre aux questions de Felix et de sa sœur Molly. Ma mère prend le relais et se charge de les laisser à l'écart en le leur demandant gentiment.

Je traverse le couloir aux murs vide, comparé à la maison de Eve et s'ensuit au fin fond, la porte de ma chambre. Elle porte encore comme décoration la pancarte avec en inscription mon prénom gravé dans le bois comme un tatouage dans la chaire. Je m'avance lentement, de peur de réveiller trop de souvenirs d'un coup brusque et lorsque je donne un nouvel accès à cette pièce, mon cœur lâche et se perd dans un rythme effréné. Rien n'a changé. Rien n'a bougé, pas même le dernier carton que je n'avais pas eu le courage de retirer. Sur le coup, mon cerveau se bat en duel entre détester mes parents et les remercier. Finalement la deuxième option l'emporte et j'entre dans cette épave artistique.

Je regarde partout. Je scrute les murs, le lit. J'ai envie de tout voir, de tout savoir, tout comprendre et pourtant, je ne dévore pas ce pouvoir qui m'est donné et m'assois immédiatement. Je peux encore percevoir les odeurs de cahiers, d'encres et de travail acharné par-delà le jasmin qui inonde les pièces. Quelques affaires sont restées intactes depuis mon départ. Sûrement qu'elles ont effrayées ma mère. Il y a encore des pochettes qui longent les parois et quelques outils, comme des pinceaux et un cahier couvert de quelques taches de peinture. En m'approchant de la table, je réalise que tous ces petits éléments que j'avais vécus comme un drame n'était en rien dramatique comparé à l'aveu de ma mère adoptive.
« Je ne suis pas ta mère ».

Un long cheminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant