L'inventeur

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Tout commença le soir de Noël 1886 dans la cité effervescente de Londres. En ce 24 décembre, la capitale de l'Empire Britannique, depuis près de 50 ans sous le règne de la Reine Victoria, s'apprêtait à fêter la naissance du Christ. Dans les rues au pavé sale, les fiacres se bousculaient, se mêlant aux passants se hâtant sous la neige. Les cris des cochers se répercutaient dans l'air glacé, leur respiration formant de délicats nuages de vapeur. Les sabots des chevaux battaient le sol, impatient que l'arrivée d'un client leur permette enfin de se dégourdir les jambes. Les diverses échoppes de Tottenham Court Road fermaient tandis que les odeurs de chapon et de dinde se mêlaient aux arômes de chocolat et de vin alors que les restaurants s'affairaient à préparer le repas de Christmas Eve. Dans les maisons bourgeoises, les bougies éclairaient le sapin et, dans les salles de bal, les toilettes resplendissaient, l'éclat des pierres précieuses brillant de mille feux. La musique des orchestres et l'alcool enviraient leurs cœurs et leurs éclats de rire se perdaient dans la nuit. Sous leurs fenêtres, les lampadaires portaient de délicates guirlandes de gui agrémentée de nœuds rouges. Les enfants couraient en riant, pressés d'aller se coucher pour attendre le Père Noël qui déposerait joujous et présents sous le grand arbre dans leur salon. On apercevait également un chœur chantant les Christmas Carols au coin de la rue tandis qu'un vendeur de vin chaud remplissait des chopes de son liquide couleur de sang aux arômes de cannelle et de clous de girofles. Tottenham Court Road sentait bon la fête et la joie de vivre en ce soir de Noël.

Toutefois, tout Londres n'était pas aux couleurs de la joyeuse fête des rues nanties. si l'on marchait pendant quelques instants en direction du nord, bravant la foule joyeuse des bourgeois avinés et heureux emplissant la grande rue, une petite ruelle cachée entre deux rangées de maisons grimpant vers le ciel dans une sorte de tour bancale ne tenant que par la force de l'habitude et par la crasse qui les recouvrait, s'ouvrait comme une plaie mince mais profonde dans l'artère opulente. Le passant égaré ne pouvait être qu'attiré par les petites lumières pâles et froides éclairant le pavé humide de neige brune et fondue, entourant la petite venelle, repoussante sous les rayons de l'astre solaire, d'un aspect des plus mystérieux. Loin des décors pimpants et clinquants de Tottenham Court Road, cette petite ruelle était le repère des canailles, des inventeurs sans l'sou, des magiciens et des diseuses de bonne aventure, les uns entassés dans de vieilles masures croulantes, recevant les clients dans une petite pièce en devanture et dormant dans l'arrière-boutique, les autres répandus sur le pavé, moitié saoul, moitié affamés, d'autres encore recevant dans les appartements des étages les quelques nobles en quête de divertissements ou les passants égarés, intrigués par les merveilles promises par les voiles et les lourds tissus colorés mais sales pendant aux devantures aux enseignes intrigantes. C'était dans cette petite ruelle mal famée que vivait Victor Decker, inventeur de son état. En ce soir de Noël, notre histoire le trouve courbé, ses cheveux noirs ébouriffés tombant à son menton, échappant au lacet de cuir les retenant, ses yeux profonds se posant rapidement sur les diverses pierres, pièces de métal et huiles négligemment posées sur son établi au milieu d'un désordre de plans et de notes griffonnées d'une écriture fine sur des feuilles éclaboussées d'encre. Se parlant à lui-même, l'inventeur triturait de ses doigts couverts de taches provenant d'à peu près tous les liquides inoffensifs de son atelier, une petite montre à gousset dont le tic-tac entêtant semblait lui rappeler à quel point il était à la fois proche et éloigné de son but. Il était si concentré qu'il lui fallut attendre d'être totalement ébloui, une violente lumière dorée emplissant le cagibi qui lui servait de laboratoire, pour lever les yeux de ses recherches. Après un bref instant d'incompréhension, Victor sorti en courant de sa boutique, fermant à la hâte la porte puis courant droit vers Tottenham Court Road. Il arriva hors d'haleine dans la rue bourgeoise s'arrêtant net en se souvenant que sa tenue de travail, un lourd tablier en cuir passé sur une chemise tachée et aux manches remontées avec un pantalon élimé et des chaussures crottées par la neige sale déparait visiblement avec les lourdes et chaudes tenues des nantis. Alors qu'il aurait dû être le centre de l'attention et des moqueries des bourgeois réveillonnant, il passa inaperçu, toutes les têtes chapeautées de la haute société étant tournées vers la source de cette clarté soudaine. Reprenant sa course effrénée, Victor traversa les rues bondées, ne s'arrêtant qu'à cour d'haleine devant le British Museum. Devant lui se jouait un spectacle à couper le souffle. Dans le ciel d'encre, une gigantesque sphère lumineuse se déployait, semblant grossir, encore et encore, englobant le musée et ses alentours. Les badauds rassemblés, assistaient avec crainte et émerveillement au phénomène extraordinaire, poussant des exclamations et des hurlements tantôt joyeux tantôt apeurés. Victor quant-à-lui, son esprit d'inventeur tournant à toutes allure, imaginait maintes théories en lien avec l'occulte. Il était si préoccupé par les causes de ce phénomène incroyable qu'il ne vit pas la lumière l'englober, ni ce qui le frappa de plein fouet, le faisant s'écrouler sur le pavé, un poids appuyant sur sa poitrine, l'empêchant de se relever.

Si le début de cette histoire vous a plu (ou pas d'ailleurs) n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire ! Et à bientôt pour la suite de notre plongée dans cet univers merveilleux !

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