Chapitre I : Horreur psychique

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Aussitôt arrivé au lycée, les bonnes vieilles habitudes reprennent. Je coupe ma musique et m'apprête au nouveau bal d'insultes qui va suivre. Et ça ne manque pas. A peine ai-je déposé les pieds dans la cour que les regards se tournent vers moi, les doigts se pointent dans ma direction, et les messes basses reprennent. On me hue, m'humilie, me fait chier et me donne une nouvelle fois envie de me retourner afin de ne plus jamais revenir dans cet enfer sur Terre. Pourtant, comme à mon habitude, je me laisse faire, je ne dis rien et passe devant eux en silence. C'est triste, mais je suis incapable de me défendre seul face à tout un lycée dont le passe-temps favori est de faire de ma vie leur sujet quotidien. Autant être réaliste là-dessus : tout seul, je n'ai aucune chance.

— Regarde-toi, tu fais peur à voir !

— Même un monstre est plus beau que toi !

— Tu crois vraiment que tu ne vas pas vivre seul, avec cette sale tronche ? Qui voudrais de toi, sérieux ?

— Même sa mère doit avoir envie de l'abandonner !

— Tu es marqué à vie, pauvre abomination.

Je les sens pointer leurs visages amusés sur moi, et, instinctivement, je me recroqueville. J'ai cette sensation horrible que leurs doigts dans ma direction pourraient me tuer. Les yeux me brulants, je tente de marcher en direction de ma salle de cours mais je me sens attrapé par le bras. Un frisson d'horreur me parcourt tout entier alors que je tente de contrôler ma respiration saccadée par la peur de ce qu'il pourrait s'ensuivre.

— Hé ! Où tu penses aller comme ça, l'erreur ?

Je ne prends même pas la peine de répondre. Alors comme ça je serais une erreur ? Je crois que ça, on ne me l'avait jamais dit. Pas encore, du moins. Mais je ne suis pas étonné de l'entendre. Ces insultes continuent de me siffler à tout va dans les oreilles, me provoquant un fichu mal de crâne. Trop fort, tout ceci est trop fort. J'ai envie de couper le son et d'oublier tout cela, faire comme si j'étais dans un cauchemar dont je vais bientôt me réveiller.

Je suis fatigué de tout ça, lassé d'être perçu comme un pauvre type moche et horrible, mais je n'y peux rien. Je voudrais tellement être capable de leur avouer tout ce que je pense à leur sujet, mais cela me semble impossible. Je pense que je suis maudit.

— Laissez-moi ! je finis par hurler alors que tous ces potes se rapprochent de moi et tentent de mettre mon visage balafré à nu.

Etonnés ou amusés, je ne sais pas, ils se retournent vers moi, me dévisageant sans l'ombre d'une gêne avec un sourire narquois au coin des lèvres. Ma réponse semble les surprendre et ils se jettent des regard mi-amusés, mi-surpris. Je regrette aussitôt d'avoir perdu mon sang-froid.

— Oh, regardez, il prend la peine de nous parler ! se moque une voix.

Je lève les bras au ciel. Je m'humecte les lèvres et dégage toutes ces mains qui me couvrent. Je fais un pas en arrière et fronce les sourcils. A ce moment-là, je ne sais pas ce qu'il se passe. J'ignore si c'est l'agacement ou la haine, mais j'oublie même tous mes principes et leur lance, énervé :

— Vous voulez m'entendre ? Eh bien, écoutez-moi ! Ça vous plait de vous moquer, de m'harceler quotidiennement depuis des mois, sans savoir ce que j'ai vécu ? Ça vous plait de me balancer gratuitement ces moqueries ?! Fichez-moi la paix, merde ! Je ne vous ai rien demandé !

Un éclat de rire résonne dans la cour, suivi d'un autre. J'essaie de ne pas craquer une nouvelle fois. Que m'a-t-il prit d'ouvrir ma gueule ? N'aurai-je juste pas pu la fermer, comme je le fais tous les jours ? J'ai tenté quelque chose et je le regrette. Ça se retourne aussitôt vers moi. J'ai envie de fuir à toutes jambes mais je sais bien qu'ils sont capables de me poursuivre.

— De l'harcèlement ? Mon pauvre, tu ne sais même plus ce que tu dis ! On te rend service, tu vois. Grâce à nous, tu n'es pas capable d'oublier quel genre de type horrible tu es.

Je retiens mes larmes et baisse les yeux brusquement. A ce moment, mes baskets sont les plus belles choses que je n'ai jamais vu. Je me rappelle que, lorsque je suis arrivé pour la première fois au lycée, avec cette cicatrice sur le visage, tous m'ont fui comme un pestiféré. Faisant partis auparavant de ceux que l'on peut qualifier comme étant « populaire », tous mes soi-disant amis m'ont tourné le dos. Je m'étais alors pris un couteau dans le cœur. Les amis ne sont-ils pas censés vous soutenir, quoi qu'il puisse vous arriver ?

Eh bien non, rien de tout cela ne s'est produit pour moi. Aucun d'eux n'est venu me voir à l'hôpital, même la fille qui semblait m'apprécier, et, bien que je ne l'aimais pas comme elle, j'imaginais qu'elle serait au moins venue me voir une fois. Mais non, elle a fait comme tous les autres, ces moutons. Je regrette chaque jour passé à leurs côtés sans me rendre compte de quel genre de personnes ils étaient. Avec eux, je n'ai jamais pu être moi-même, et il m'a fallu un terrible accident et de l'harcèlement pour le comprendre...

— Regardez tous ! Il se rebelle ! Waouh, j'ai peur ! se moque l'un d'entre eux en mettant les deux bras vers le ciel. Heureusement que nous sommes là pour te remettre à ta place, surenchérit-il.

Les larmes aux yeux, je mets mon bras sur mon visage pour ne pas que l'on remarque que je pleure doucement. Je pourrais m'en moquer qu'ils me voient ainsi mais je ne souhaite par leur donner une nouvelle raison de se moquer de moi. Ainsi, mon bras cache aussi ce pour quoi on me blâme.

— Mais ne t'en va pas si vite, nous n'avons pas fini ! Oh... Monsieur est mauvais joueur !

Mauvais joueur ? Non. J'en ai juste ma claque.

Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que je n'ai pas choisi ça. J'aurai certainement pu rester le Ewen d'avant, probablement inintéressant et comme les autres, mais au moins tout aurait été plus simple. Je n'aurais pas à subir tous ces reproches, à me souvenir sans cesse de cet accident de malheur qui me coute tout – surtout mon bonheur et ma vie sociale.

Après les cours du matin, au lieu d'aller manger à la cantine comme tous le monde, je savais exactement où aller. C'est le seul moment de la journée où je peux sourire un peu. Et, comme tous les jours, lui aussi était là.

Sans un mot, je m'approche alors qu'il lève les yeux sur moi.

Aussitôt, les battements de mon cœur se calment.

Ewen et l'envers des choses |BxB||Terminé|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant