Un jeune homme entre dans la taverne avec un un petit sac en cuir sur le dos. Ses cheveux noirs reflètent à peine la lueur des lanternes qui ornent les murs. Il vient s'asseoir au comptoir et passe sa main dans ses cheveux ébouriffés. Puis il me commande à boire et je le sert. Ses yeux émeraudes aspirent mon regard. Il me demande alors, d'une voix douce et harmonieuse, s'il peut passer la nuit ici. Je réponds que nous avons un dortoir réservé au membre de la Confrérie, mais qu'il n'est pas ouvert au public.
"Une Confrérie !? Vraiment !?
- Euh... Oui... Vous êtes ici dans le quartier général des Chasseurs, dis-je intrigué par son ignorance.
- Les Chasseurs !? Voilà des mois que je vous recherche ! s'exclame-t-il.
- Et bien, tout le monde sait où nous trouver pourtant, répliqué-je en affichant une grimace qui trahit mon incompréhension.
- Je ne suis pas originaire de ce pays, à dire vrai, m'informe-t-il avec un rire gêné.
- Voilà qui explique tout ! Mais dans ce cas, comment connaissez-vous notre Guilde ?
- Ce serait une histoire bien trop longue à raconter... Cependant ma motivation est de vous rejoindre !"
À cet instant, un homme saoul m'interpelle à l'autre bout de la taverne pour que je lui serve à nouveau de l'hydromel - une boisson dont bons nombres de guerriers raffolent dans ce pays. Pas même un "merci" : ça devient une routine lorsqu'on fait ce métier. De même que les mains aux fesses lorsqu'on est une femme - je les admire pour cela. Heureusement je n'ai pas à subir ce genre d'humiliation.
Par mégarde, je renverse un peu du breuvage sur mon client. Voilà près de deux jours que je me charge seul de faire tourner la boutique et la fatigue commence à se faire sentir. La brute se lève et balance la table. Il fait deux têtes de plus que moi. "Saleté d'elfe !" Il se prépare à écraser son énorme main sur mon visage. Je m'apprête déjà à recevoir le coup lorsque son bras est retenu par une autre main : c'est le nouveau. J'ignore comment il a pu arriver ici en si peu de temps, ni pourquoi il prend le risque de m'aider. Un lourd silence tombe sur l'immense salle. C'est alors qu'il lance un regard noir, empli de mépris et de rage sur cette montagne de muscles. Il ne prononce qu'un mot, d'une voix sèche et grave : "Assis". Je ne sais pas ce qui a retenu l'autre homme de lui en coller une, mais il a obtempéré sans broncher. Cet inconnu me relève et demande qu'on me présente des excuses. Là encore, le client obéit. Stupéfait et sous le choc, je tente de formuler des remerciements, mais rien ne sort.
Mon sauveur me fait signe d'ouvrir la voie jusqu'au comptoir. Le brouhaha de la taverne reprend comme si rien ne l'avait troublé. C'est ce mélange de récits légendaires, d'aventures bien réelles relatées et de conseils pratiques échangés qui me pousse à rester, car, mis à part quelques incidents de ce type, la Confrérie est un endroit chaleureux où il fait bon vivre. Je suis enfin parvenu à reprendre mes esprit et je m'empresse de remercier cet homme qui m'a aidé sans même me connaître. Il ne réagit pas. Il reste là, effondré sur le tabouret, les bras ballants, comme vidé de toute force.
"Vous allez bien ? Que se passe-t-il ? m'enquiers-je, inquiet.
- Rien... Rien... Ce n'est... qu'une égratignure... me dit-il en portant le regard sur une tâche de sang sur sa chemise.
- Appuyez-vous sur moi, je vais vous amener jusqu'à ma chambre, là derrière, et voir ça de plus près."
Je passe son bras par-dessus mes épaules. Je le soutiens jusqu'au lit, lui ôte sa cape et l'allonge aussi délicatement que mes faibles bras me le permettent. Il s'évanouit presque aussitôt. Je découvre soigneusement la plaie : une incision profonde dans sa chaire, que dis-je, ses muscles. Je constate qu'elle a été refermée à la hâte, et son intervention a dû la rouvrir. Je place mes mains au-dessus de sa blessure et récite quelques prières. La lueur verte fait son effet, comme toujours et bientôt, l'entaille n'est plus qu'un mauvaise souvenir. Son visage s'apaise tandis qu'il soupire un "merci". Je m'assois sur une chaise, dans un coin de la chambre, exténué par cet effort tant physique qu'intellectuel.
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Journal d'un Roi
FantasyTandis que les dieux semblent avoir abandonné Aerdir, quelques héros vont tenter de maintenir la paix. Qu'ils accomplissent leurs rêves ou renouent avec leurs origines, un destin glorieux les attend.