QUATRE MOIS PLUS TARD
Les jours passèrent. Ana et Julien s'entendaient bien. Laure avait même remarqué quelques clins d'œil qui s'échangeaient entre eux lors des repas.
Un samedi matin, alors qu'elle ramassait les œufs des poules, son père vint à sa rencontre :
-Ana ? On peut parler un instant ?
-Oui, bien sûr !
Super, elle semblait de bonne humeur.
-Je voulais savoir comment tu te sens.
-Là, maintenant ?
-Oui, et en général. Pour être honnête, je voudrais savoir comment tu te sens depuis l'arrivée de Laure et Julien dans la maison.
-Oh. Je me sens... bien. Ils sont sympas.
Elle détourna le regard vers le paysage.
-Ana, je suis content tu sais. Que tu t'entendes si bien avec Julien. Je crois que votre amitié te fais du bien. Je veux être honnête avec toi : je commence à retrouver ma vraie fille ! Celle qui aime et profite de la vie ! Celle qui aime papoter des heures avec des jeunes de son âge !
-Merci, Papa. C'est vrai qu'on s'entend bien. Je veux dire, nous avons pas mal de points communs...
Son père la prit dans ses bras.
-Je t'aime, Ana.
-Moi aussi je t'aime, Papa.
Le soir, Ana regardait l'émission « Tout pour une femme ». Vous savez, ce genre d'émission de télé-réalité, où chaque candidat a l'air de vouloir sembler plus stupide que le précédent... Ana et Julien s'en donnaient à cœur joie. Ensemble, ils critiquaient ces femmes trop surfaites et ces hommes trop musclés.
Au générique de fin, Ana monta dans sa chambre après avoir fait la bise à Laure et à son père. Julien la rejoignit.
-Ana, on peut discuter ? Sauf si tu veux dormir.
-Non, non, discutons !
-Je vais te poser une question bizarre, mais je veux que tu sois honnête.
-Je suis sensée avoir peur ?
Julien sourit : « Non, non, ne t'inquiètes pas. »
-Alors je t'écoute, répondit Ana en s'installant dans les coussins colorés de son lit.
-J'ai entendu une discussion entre nos deux parents. Je sais que je n'aurais pas du écouter, mais... je suis curieux.
Il s'arrêta. Ana redoutait ce qu'il pouvait bien avoir entendu.
-Ton père disait à ma mère que, depuis que nous sommes là, tu es... plus heureuse. Tu es redevenue toi-même. Ce sont les mots qu'il a utilisés, si je me souviens bien. Alors je me demandais : pourquoi a-t-il dit ça ?
Ana baissa la tête. Elle pensa à ces derniers mois. Julien était un garçon profondément gentil. Elle repensa aux nombreuses conversations qu'ils avaient eues, sur la façon dont ils voyaient le monde du futur, sur leur croyance en la réincarnation, et même sur la manière dont leurs vies auraient pu être différentes s'ils étaient nés sur un autre continent. Elle se souvint des quelques fois où Julien avait essayé d'aborder le passé et de la façon dont elle arrivait à couper court à ces conversations qu'elle voulait à tout prix éviter. Elle pensa à chaque instant où elle remarquait que Julien se taisait alors qu'il voulait lui poser des questions. Elle se remémora les quelques fois où il était apparu dans sa chambre alors qu'elle voulait être seule, et qu'elle avait du cacher en vitesse les photos qu'elle regardait.
Aujourd'hui, Ana considérait Julien comme son meilleur ami. Elle savait que le moment était venu, elle ne pouvait plus lui cacher son passé. Elle se promit de tout lui raconter, sans omettre le moindre détail, et sans pleurer.
C'est ce qu'elle fit. Une fois son récit terminé, Julien savait tout. Sa vie remplie d'amis, l'accident de voiture, la perte de sa sœur puis de sa mère, son enfermement sur elle-même, la décision de son père de mettre la maison à louer, et la façon dont, aujourd'hui, elle se sentait renaître. Grâce à lui.
-Je suis désolée de ne pas te l'avoir dit plus tôt. Je sais que j'aurais dû. Tu m'as partagé tellement de choses sur ton passé, mais... Je n'étais pas prête. J'avais peur que tu me regardes autrement, que tu me regardes avec de la pitié dans les yeux. Si je t'avais dit dès le premier jour la raison pour laquelle mon père a mit notre maison à louer, tu m'aurais juste vu comme « la pauvre petite qui a perdu sa sœur et sa mère ». Je suis désolée, je n'ai pas pu te le dire plus tôt.
-Ana... Je ne t'en veux pas. Je peux te dire une chose ?
-Je parle depuis un bon moment maintenant, je peux bien te laisser la parole.
-J'ai perdu mon père à l'âge de 9 ans. Je t'ai dit que mes parents s'étaient séparés, que mon père était parti vivre loin et que nous n'avions plus de nouvelles de lui. Mais j'ai menti. Ana, je comprends absolument ce que tu ressens. Quand c'est arrivé, tout le monde avait pitié de moi. C'est moi qui ai demandé à ma mère de partir de cette ville où tout le monde me connaissait et savait mon histoire. Aujourd'hui, j'aime ma vie, j'aime vivre ici, j'aime partager cette maison avec toi. Mais ma vie, mes amis d'avant, tout ça me manque. Ana, ne fais pas la même erreur que moi. Louisa a l'air d'être une amie en or, je crois qu'elle tient vraiment à toi. Et de ce que j'ai pu comprendre, vous étiez vraiment proches. Ne la perds pas. Je sais que le premier pas pour retourner la voir sera le plus dur, mais je pense que c'est ce qu'il y a à faire. Tout cela s'est passé il y a presque un an. Je sais ce à travers quoi tu es passée, la peur de ne plus être « Ana », mais d'être « celle qui a perdu un parent » à la place. La peur du regard que les autres, que tes amis auront sur toi. En fuyant cette peur, j'ai fui ma vie, j'ai fui mes amis et tout ce qui me plaisait là-bas. Ne fais pas la même erreur que moi, je t'en prie.
Ana le regardait. Et elle comprit. Elle comprit qu'il savait. Il avait du le deviner lors de tous ces moments où elle effaçait le passé de leurs conversations et où elle rangeait en vitesse quelques photos quand il entrait dans sa chambre. Elle comprit que Julien ne la connaissait que depuis quelques mois, mais la connaissait déjà par cœur.

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Le locataire
RomanceAna, 20 ans, vit avec son père. Après un drame familial, elle se renferme sur elle-même. Son père décide d'accueillir des locataires dans leur grande maison. Ana rencontre malgré elle son locataire, un garçon pas comme les autres. Saura-t-il aider A...