Le locataire

Julien

Deux semaines plus tard, un camion s'arrêta devant la grande maison. Dessus, en bleu sur fond blanc, on pouvait lire « Panda-Déménagement ». Laure et Julien arrivèrent quelques secondes après dans leur petite voiture rouge. Ana souffla. Ça y était. Tout changeait.

Elle voulait que tout se passe bien. Elle voulait faire plaisir à son père et faire ami-ami avec Julien. Elle voulait que son père les voie tous les deux passer du temps ensemble, à regarder des séries et à manger du pop-corn. Mais elle ne se sentait pas prête. Ce que son père lui avait dit l'avait tourmentée. Ana savait qu'il avait raison, il n'y avait aucun doute là-dessus.

SIX MOIS PLUS TÔT

Le lendemain du drame, Louisa était venue toquer chez Ana. Son père lui avait ouvert la porte :

-Bonjour, je viens pour voir Ana.

-Je vais l'appeler. Merci, Louisa. Pour tout ce que tu as fait.

Quand son père était entré dans sa chambre pour lui annoncer la venue de Louisa, Ana n'avait pas bougé.

-Non merci, avait-elle simplement répondu.

Son père avait imaginé qu'elle n'était pas encore prête pour voir du monde.

-Désolé, Louisa, je crois qu'Ana a besoin d'être seule. Repasse quand tu veux. Merci encore.

Depuis, Ana avait toujours décliné les invitations de Louisa. Elle disait qu'elle n'était pas prête, ou qu'elle n'avait pas le cœur à ça. Ana avait une fois été forcée de dire oui par son père. Elle s'était rendue au rendez-vous, mais cela a failli tourner à la catastrophe. Les deux jeunes filles ne se reconnaissaient plus. Comme si ce qui c'était passé les avaient profondément changées. Depuis cette dernière rencontre, Ana n'avait plus jamais eu de nouvelles de Louisa.

AUJOURD'HUI

Ana sourit et alla aider à défaire les cartons. Elle essayait d'en extirper un du camion. Il n'était pas imposant, mais qu'est-ce qu'il était lourd ! Courbée, elle essayait tant bien que mal d'amener ce carton dans le salon. Mais qu'est-ce qui pouvait bien être si lourd ?! Elle était à deux doigts de laisser tomber et de l'abandonner à mi-chemin quand Julien arriva et lui enleva ce poids si lourd.

-Merci, souffla-t-elle, essoufflée. Attend, je vais porter de l'autre côté. Mais il y a quoi, là-dedans ?

-Ne te moque pas de moi, sourit Julien. Ce sont mes livres. On ne dirait pas comme ça, je sais, mais je suis un très grand lecteur.

Enfin arrivés dans le salon, ils posèrent ensemble le carton sur le sol.

-Je ne moquerais pas de toi, dit Ana en se frottant les mains pour en retirer les saletés. Que lis-tu de beau ?

-Ouuh, mais voilà une question très personnelle ! dit Julien en jouant la comédie.

-Vous aurais-je mis mal à l'aise ? sourit Ana en entrant dans son jeu.

-Peut-être bien...

Une fois tous les cartons dans le salon, Ana et Julien se posèrent dans le canapé. Et ils discutèrent...

Ana avait un très bon sentiment. Ce garçon la mettait à l'aise. Il était drôle, intelligent, et ne se prenait pas la tête. Il semblait vivre sa vie, telle qu'elle venait. Mieux, il ne la regardait pas comme une pauvre petite qui avait vécu quelque chose de difficile. Et pour cause, il n'avait aucune idée des événements passés six mois plus tôt. Lorsqu'il posa cette question :

-Et sinon, dis-moi, pourquoi ton père et toi prenez-vous des locataires ?

Dans le feu de la discussion, Ana voulait tout lui raconter. L'accident de voiture, l'hôpital, les décès, les enterrements, comment elle s'était éloignée de tout, les difficultés financières de son père, ... Mais elle savait que, une fois qu'il saurait tout ça, il ne la regarderait plus de la même façon. Elle deviendrait la « pauvre petite Ana ». Il y aurait de la pitié dans son regard. Il pèserait tous ses mots avant de parler, pour être sûr de ne jamais la blesser. Il éviterait les conversations qui pourraient rappeler à Ana ce qu'il s'était passé. Il serait gêné quand il parlerait de sa famille. C'est pourquoi elle répondit :

-On s'ennuyait. On voulait du changement, du neuf.

Son cœur se serra. Mensonge 1. Elle espéraitqu'il n'en entraînerait pas toute une série d'autres.