Cinquième chapitre

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Lucia fut de retour au village en début de soirée. Barthélémy avait décidé de fouiller les étages supérieurs seul, jugeant que Lucia "le ralentirait". Cette dernière entra dans l'auberge où l'équipe avait élu domicile. Sélène était attablée en face de la jeune fille auprès de laquelle ils s'étaient renseignés à l'entrée du village. La Chasseuse grise se retourna quand elle entendit la nouvelle venue entrer.
- Lucia ! Justement je m'apprêtait à aller te chercher. Cette jeune fille a vu quelque chose qui pourrait nous être utile.
La capitaine-inspecteur prit une chaise et lança un regard interrogateur à la jeune fille. Cette dernière baissa la tête, intimidée.
Elle prit une grande inspiration, et, en gardant la tête basse, raconta timidement:
- Hier soir, je rentrais de la forêt et j'étais en retard. Je m'étais perdue, ajouta-t-elle avec empressement, comme pour s'expliquer. Je savais pas vraiment où j'allais, il faisait déjà noir. Je voulais pas traîner, Bill avait disparu il y a quelques jours et tout le monde dit que c'est à cause des loups. J'avais peur et j'ai vu une lumière, je me suis dirigée vers elle, je croyais que c'était une lumière du village...
La jeune fille s'interrompit, hésitante. Lucia s'apprêta à insister quand elle reprit :
- J'ai vu un homme qui portait un corps sur son épaule. Il avait une lanterne et il se dirigeait vers la tour. Je suis restée cachée, j'étais morte de peur. Au bout de quelques minutes, quand il est entré et qu'il n'y avait plus de bruit, je suis partie et j'ai réussi à retrouver le chemin.
- Et je suppose que tu n'as pas pu reconnaitre l'homme ou le cadavre ?
- Il faisait trop sombre, souffla l'adolescente.
- Pourquoi n'as tu pas parlé de ce que tu as vu ? La jeune fille hésita. Elle répondit, plus bas encore :
- Le colonel Lieric aime pas qu'on dise du mal du mage. Mon père dit que c'est parce que le mage avait des "amis haut placés".
Lucia resta silencieuse quelques secondes, les lèvres pincées. Ça allait être encore plus difficile que prévu.
- Et Bill ? Celui qui a disparu. Il ressemblait à quoi ? Il faisait quelle taille ?
La jeune fille réfléchit longuement. Lucia attendit patiemment sa réponse.
- Il était...un peu plus petit que les autres hommes du village je dirais, mais pas de beaucoup.
La capitaine-inspecteur fit un signe à Sélène, qui s'approcha. Elle lui glissa à l'oreille :
- Ça peut être le corps incinéré que j'ai trouvé dans la tour.
Elles échangèrent un regard entendu. Lucia permis à la jeune fille de s'en aller.
Quand la jeune fille s'approcha de la porte de l'auberge, cette dernière s'ouvrit à la volée. Barthélémy se tenait de l'autre côté du battant. Il s'avança vers ses collèges en ignorant la jeune fille. Il avait un regard soucieux, cogitateur. Avant que Lucia ne puisse lui poser la moindre question, il annonça :
- C'est un sorcier. Ou plusieurs.
- Quoi ?
- Les sorts qui protègent le livre sont anciens. Certains n'auraient pût être brisés que par une personne maîtrisant de façon avancée de nombreuses formes de magie, dont de la sorcellerie.
- Tu en est sûr ?
- Certain, affirma-t-il. Lucia connaissait bien Barthélémy, il était consciencieux. S'il se disait certain, c'est que personne ne pourrait jamais prouver le contraire, particulièrement quand il était question de magie.
- Il faut que je parle à ce colonel si protecteur envers un mage. Vous deux, continuez à interroger les villageois on pourrait toujours glaner des informations supplémentaire.
- Il vaudrait pas mieux que je retourne fouiller la tour ? objecta Barthélémy
- Je pense que cette source est épuisée.
Sur ces mots, la capitaine-inspecteur quitta l'auberge, sans laisser à son subordonné de contester quoi que ce soit.

Lucia entra sans frapper dans le bâtiment dédié à la milice.
Dans la salle commune, une demi douzaine d'hommes conversaient, entretenaient leurs armes. Ils observèrent un silence tendu quand elle entra. Elle les ignora et se dirigea tout droit vers le bureau du colonel, qu'elle repéra à la gravure posée sur une imposante porte. Elle entra sans frapper. Le colonel Lieric était assis devant une table imposante, couverte de documents. C'était le seule ameublement de la pièce aux murs nus. Quand le milicien la reconnut, il se leva prestement.
- Bonsoir capitaine-inspecteur. Vous avez trouvé quelque chose.
Ignorant sa question, Lucia lui ordonna, d'un ton calme et froid :
- Asseyez vous colonel. J'ai des questions à vous poser.
L'homme se rassis lentement, avec un visage inquiet. Il connaissait la réputation de la Garde argentée. Il valait mieux obéir sans discuter. Lucia, toujours debout, lui exposa la situation.
- Plusieurs villageois nous on rapporté que vous étiez particulièrement protecteur envers le mage Darius, dit-elle sur un ton faussement anodin. C'est étonnant, compte tenu du fait qu'un mage à protéger est pour un poste de milice un travail lourd et complexe, du fait des responsabilité des colonels, notamment dans le cas d'une attaque envers une tour.
- Vous voulez me mettre en cause pour vous débarrasser de votre enquête c'est ça ? De toute façon si vous interrogez mes hommes ils vous confirmeront que j'ai respecté en tous points les ordres de protection de la tour, se défendit-il avec véhémence. Vous ne pourrez rien trouver qui puisse...
- Taisez vous.
Le colonel blêmit sous le feu du regard de la capitaine-inspecteur.
- Du fait de mon poste, j'ai rencontré de nombreux miliciens en charge d'une tour. Tous maudissaient le mage qui l'habitait étant donné le nombre d'hommes réquisitionnés pour les ordres de protection. Pourquoi protégiez vous Darius.
Hans Lieric soutint son regard quelques secondes avant de baisser les yeux. Il soupira.
- Asseyez vous, dit-il en désignant la chaise en face de la sienne. Je vais tout vous expliquer.
Prit place dans la chaise et attendit le récit du milicien.
- Il y a 4 ans, quand Darius avait pris poste dans cette tour, j'ai reçu une lettre d'un ancien chef Inquisiteur, un certain Damian Pyrus. Il m'a expliqué qu'il était le père de Darius et qu'il "comptait sur moi" pour veiller à ce que son fils ne soit pas "embêté" par les villageois. Ça voulait dire que si je n'empêchait pas les villageois de répandre des rumeurs sur le mage, je serais muté à un poste encore moins enviable. Et maintenant qu'il est mort...
Lucia l'interrompit brusquement :
- Pourquoi fallait-il taire les rumeurs ? Il y en avait beaucoup ?
Le colonel, surprit par le changement de sujet mit quelques secondes à répondre.
- Disons que Darius, étant un ermite, n'était pas beaucoup apprécié, plutôt craint et...
Le milicien fut de nouveau interrompu, cette fois par des exclamations venant de la salle principale. Lucia sortit du bureau et aperçu Léo, tempêtant pour pouvoir passer. Quand il remarqua Lucia, il ignora les miliciens qui l'entouraient pour s'adresser à elle :
- J'ai découvert quelque chose d'urgent ! Il faut que...
- On vera avec les autres. Suis moi.
Les deux Gardes argentés quittèrent le bâtiment sans un regard pour les hommes médusés. Ils eurent vite retrouvé leurs compagnons à l'auberge. Les Chasseurs gris prirent place autour d'une table pour écouter Léo. Tout les villageois intimidés, avaient abandonné l'auberge et il ne restait plus qu'un ivrogne écroulé sur une table, sûrement inconscient.
- J'ai commencé mes recherches par les potentialités du livre volé, expliqua le vieil érudit. Tout d'abord, le livre semble apprendre au sorcier qui met la main dessus à changer son apparence. Le Mille-faces était en fait un sorcier capable de prendre l'apparence de n'importe qui, juste en utilisant la peau du visage de la personne en question et c'est d'ailleurs sûrement de lui dont il est question dans un des récits des guerres du Sud, comme par exemple...
- Abrège, le coupa Lucia.
Un peu déçu, Léo continua son explication.
- Même si le fait qu'un sorcier en possession du livre peut changer son apparence rend sa recherche compliquée, j'ai une bonne nouvelle.
Le Chasseur laissa planer le suspens quelques secondes avant d'annoncer :
- Le livre volé est incomplet. La majorité des sorts contenus dans le livre sont inutilisables sans l'autre partie qui est dans une autre tour du duché. Nous y sommes envoyés, avec les autres Chasseurs, ordres du duc.
- Pour toi le fait qu'un dangereux sorcier capable de changer d'apparence possède la moitié d'un recueil de sorts interdits est une bonne nouvelle ? opposa sarcastiquement Passius.
Léo foudroya ce dernier du regard :
- Je vais à présent ignorer les mauvaises langues et vous exposer l'extrême efficacité des mes recherches si limitées dans le temps, déclama-t-il d'un ton théâtral. J'ai une information capitale à propos du mage de la tour locale, Darius.
Lucia, qui était restée immobile et pensive, redressa la tête.
- C'est à dire ?
- J'ai vérifié l'arbre généalogique de ce mage. Il y avait des données manquantes. Je suis allé aux archives de l'Inquisition et j'ai découvert que son père était en fait un tuteur qui l'avait adopté. Ce tuteur, Damian Pyrus, un chef Inquisiteur, avait adopté l'enfant juste à la rentrée d'une croisade. L'enfant n'ayant pas d'identité déclarée avant cette adoption, j'ai parlé de mes découvertes à Théo et il a décidé d'envoyer Ciras interroger Pyrus. Le retraité a vite craqué et a avoué avoir adopté l'enfant après l'avoir sauvé, le gamin habitant dans un village d'hérétiques.
- Je m'en doutais, dit Lucia, encore pensive. Tous les regards convergèrent vers elle, sauf celui de Sélène, qui hochait la tête, signifiant qu'elle était arrivée à la même conclusion que la capitaine-inspecteur.
- Imaginons que Darius, ayant grandit dans un village hérétique, connaisse des rudiments de sorcellerie. Pendant sa jeunesse, il étudie assidûment la magie, jusqu'à être sélectionner pour garder un livre. Il vit en ermite, étudiant jusqu'à être capable, avec ses connaissances combinées en magie et en sorcellerie, de briser les sceaux protégeant le livre. Pour ne pas être inquiété, il tue quelques jour avant un villageois, Bill.
- Et il conserve le corps avec un philtre d'embaumement, j'en ai trouvé dans son laboratoire alchimique, l'interrompit Barthélémy.
- Et il conserve le corps, caché dans la forêt, avec un philtre d'embaumement, reprit Lucia.
Ensuite, la nuit du vol, il récupère le corps et l'amène à la tour. C'est la silhouette qu'a aperçu la jeune fille, et c'est les traces profondes se dirigeants vers la tour que j'ai trouvées. Il met le corps dans son lit, l'incinère, vole le livre et fuie la ville. Il va sûrement bientôt se rendre dans l'autre tour, pour voler la deuxième partie du livre. Et nous l'y attendrons.
Lucia se leva et se dirigea vers le vieil ivrogne écroulé sur sa table. Elle se pencha et murmura quelques mots à son oreille. L'homme se redressa soudainement et hocha la tête en signe de compréhension. Elle se dirigea ensuite vers la porte de l'auberge. Les Chasseurs gris la suivirent. En quelques minutes, ils quittèrent le village. Lucia étant en tête de la formation, Barthélémy se porta à son niveau et murmura :
- Le vieil ivrogne était un Malandrin c'est ça ?
Il prit le silence de sa supérieur pour une approbation.
- J'ignorais que la Garde avait des contacts avec cette guilde.
- La Garde n'en a aucun. Barthélémy du se contenter de cette réponse.

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