2. Caelus

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Quatre jours avant la chute de Mecia


Lorsque j'ai rencontré Zara, j'ignorais encore tout. Elle était perdue ; j'étais prétentieux.

Caelus


Elle étouffait.

L'eau menaçante se soulevait erratiquement, chaque vague menaçant de se refermer sur elle. L'océan fumait et se secouait avec négligence comme un fauve gêné par un taon. Si la tempête ne l'avalait pas, elle s'écraserait contre les rochers avant d'apercevoir la lumière du jour.

Emportée par le courant, elle se retourna vers un reflet de lumière qui cheminait derrière elle. Une trouée dans les nuages avait écarté les voiles de l'ouragan. Elle n'avait jamais vu de tel phénomène ; ni même d'océan... Mecia, la ville des sept pyramides, était implantée au Nord de la mer d'Erel. Ce bassin naturel recueillait les eaux des monts Fryiens. Les Architectes de Mecia avaient puisé dans cet équilibre naturel la prospérité de leur cité et de leur petit territoire.

Comme les images de sa mémoire revenaient dans son esprit, l'obscurité s'émietta en poussière. L'eau la poussa vers un rivage tout juste émergé des flots.

Elle n'avait jamais vu d'océan. Elle se trouvait donc dans le monde supérieur.

Son nom s'échoua avec elle sur le rivage et lui revint.

Zara leva les yeux vers un ciel sans nuages, où des oiseaux marins tournaient en cercles. Une tour inachevée fendait l'horizon en deux. Sa construction ne semblait requérir aucun échafaudage. À travers les grandes baies vitrées déjà installées se devinaient des spirales de rayonnages. Des rouleaux de parchemin par millions, plus nombreux que les goélands sur les falaises avoisinantes.

« Que cherchez-vous ? »

Un homme en tunique monacale avait marché jusqu'à elle. Son regard perçant héritait du bleu de l'océan. Il croisa les bras sans marquer de surprise, plutôt des prémices de curiosité.

« Que cherchez-vous, mon enfant ? répéta-t-il avec douceur.

— Qui...

— Je suis Caelus, et vous êtes égarée. »

L'homme avança jusqu'à la frontière de l'eau et y trempa le bout du pied.

« Vous avez traversé l'esprit de Diel. Il est encore endormi, il ne vous a pas remarquée. D'où venez-vous ?

— Mecia...

— Ce nom ne me dit rien. Je n'ai peut-être pas encore cartographié votre monde.

— Où suis-je ? »

Caelus plissa des yeux, comme si les détails de son interlocutrice ne lui venaient que l'un après l'autre. Zara avait déjà remarqué, lors de ses incursions dans le monde supérieur, que les esprits rencontrés sur son chemin la voyaient et l'entendaient mal. Même face à face, il y avait entre elle et eux une distance incommensurable. Car, aussi loin qu'elle s'avançât dans le séjour des esprits, son corps n'avait jamais quitté Mecia.

« Vous venez de Mecia, dit Caelus. Ce lieu se situe dans le monde physique, n'est-ce pas ? Cela veut dire que vous êtes en séance de voyage astral ?

— Oui.

— Il existe dans cet univers autant de mondes qu'il y a d'étoiles dans vos ciels ; autant de conscients sur ces mondes que de grains de sable sur cette plage. Pourtant fort peu sont capables de ce que vous faites... Zara. »

Les esprits connaissaient toujours son nom, sans qu'elle n'ait besoin de le leur dire. Dans le monde supérieur se mélangeaient l'apparence et l'information, l'intention et l'action, la pensée et la parole.

« Ce que vous nommez le monde supérieur, reprit Caelus, je le connais sous le terme de Noosphère. Il s'agit de l'ensemble auto-organisé des rêves et des souvenirs qui relient tous les mondes. L'océan que vous avez traversé se nomme Diel. Il est l'un des plus vastes esprits connus. Quant à moi, je suis un apprenti bibliothécaire. J'ambitionne d'archiver l'intégralité des mémoires.

— Combien de rouleaux vous faudra-t-il ?

— Des milliards de milliards. Mais qu'importe ? J'ai ici tout l'espace et le temps qui me seront nécessaires. »

Elle devina que Caelus, seul avec son projet titanesque, profitait de sa présence pour briser le silence. La proximité du dénommé Diel ne semblait pas lui avoir été d'un grand secours. La tempête que Zara avait traversée, un cauchemar de l'océan, avait été oubliée au profit d'un soleil pâle et languissant ; mais Diel dormait toujours.

« Suivez-moi, dit-il en marchant vers le phare inachevé. Je voudrais profiter de votre présence pour ouvrir un dossier sur votre monde. Ce sera l'affaire de quelques instants ; je le compléterai plus tard.

Revenons aussi à ma question première. Que cherchez-vous ? »

Zara regarda en arrière.

« C'est moi qui ai apporté la tempête, se rendit-elle compte.

— Pardon ?

— Je me trouvais à Valinor lorsque je suis tombée à l'eau.

— Val... une autre ville de votre monde ? Vous voulez dire que vous avez utilisé le voyage astral pour déplacer votre esprit d'un point à l'autre d'un monde physique ?

— C'est interdit ?

— Ce n'est pas interdit, c'est exceptionnel. Je ne manquerai pas de le noter. »

Une chape de plomb s'affaissa sur ses épaules. À chaque pas, ses pieds s'enfonçaient plus profondément dans le sable humide. Les embruns avaient un arrière-goût de soufre. Elle essayait de suivre Caelus, mais il se faisait distant. Au bout d'inexplicables minutes, il s'arrêta et se retourna vers elle.

« Nous n'irons pas plus loin, remarqua-t-il. Je vois que votre esprit se fatigue. Vous n'êtes sans doute jamais allée aussi loin dans la Noosphère. Il faut retourner en arrière, maintenant, sans quoi vous ne reviendrez jamais à vous. »

Une nouvelle tempête avança sur l'océan. Une ligne de brouillard montait de l'horizon.

« Vous êtes désorientée et vous ne comprenez pas encore. Je dois vous l'annoncer. Je n'ai pas le choix. Si vous êtes tombée dans les eaux de Diel, c'est que vous avez perdu votre accroche. Votre vol astral a été brutalement interrompu. Je ne peux en conclure qu'une seule chose. Ce qui vous rattachait à Valinor a été détruit. »

Val...

Des bras invisibles se refermèrent sur elle.

« Au revoir, Zara, de Mecia. Revenez tantôt. »


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Oh, un copain !

Le Dernier Jour de MeciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant