24. Le Dragon

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Je ne suis pas l'air, mais je suis la tempête.

Sept contre un !

Sept monstres anonymes arrachés à leur prison millénaire. Sept perdants d'une guerre oubliée par l'histoire... la guerre qui avait vu le déclin des dragons. Sept pantins entre les mains perverses du Stathme, voués à servir ses objectif nébuleux.

Je ne suis pas le feu, mais je suis l'incendie.

Le Dragon se formait et se déformait au gré de sa volonté. Zara et lui formaient une symbiose invincible. L'aura de leur conscience s'étendait sur Mecia toute entière. Les griffes et les bras innombrables de l'immortel se cristallisaient dans l'air en tous points de l'espace. Une tempête dans la tempête. Une fournaise dans la fournaise.

Je ne suis pas le métal, mais je suis l'épée.

Ryujin.

Il avait jeté son nom à la face de ce monde en sursis, défiant toutes les puissances qui voudraient l'affronter.

Les sept se jetaient sur lui toutes gueules béantes. De nouvelles têtes leurs poussaient sur le corps ; de nouvelles griffes surgissaient de leurs bras démultipliés ; ils n'étaient que colère et rancœur. Ryujin n'avait pas de pitié pour eux ; il aurait pu les abattre un à un en minimisant leurs souffrances, mais le plus simple pour lui était d'épuiser ces cerbères déchaînés tous à la fois, de briser leurs corps plus vite qu'ils ne savaient les rebâtir.

Leurs minéraux se faisaient déjà dégrossis. Chaque nouvelle tête approximait la précédente avec plus de difficultés, jusqu'à devenir une parodie d'être vivant. Ils devaient sans cesse racler leur peau pour en ôter les protubérances, des pierres arrachées telles quelles aux pyramides de Mecia. Leur corps friable se brisait au moindre choc. Ryujin se riait d'eux.

Je ne suis pas la glace, mais je suis le glacier.

Déjà poussière, Mecia ne l'intéressait plus. Ryujin étendit des ailes de cristal et monta dans les airs. Un courant ascendant portait son ascension suprême. Les sept déchus se ruèrent après lui. Leurs yeux d'un noir liquide se reflétaient dans le corps diaphane de l'immortel.

Une main griffue se referma sur une de ses dix chevilles. Ryujin abandonna cette patte à ses adversaires, elle se planta cent mètres plus bas dans l'un des esclaves. Le choc le cloua sur place et fit éclater sa cage thoracique. Une vague de pétrole où nageaient des débris de béton engloutit un quartier de Mecia.

Ryujin applaudissait ce spectacle comique. Les six dragons restants extrudèrent des ailes et le suivirent.

Il étendit ses bras jusqu'aux nuages. L'eau présente dans l'atmosphère de Palm convergea vers ses mains. Il la fit prisonnière de milliards de fibres d'air solidifié, puis fit pression sur cette éponge invisible.

Je ne suis pas l'eau, mais je suis la vague.

Un torrent rouge sang, car mêlé aux millions de tonnes de poussière qui s'agitaient dans le ciel, s'effondra sur les déchus avec la force d'une montagne. Ryujin contempla son déluge un instant, puis se fondit dans la vague. Elle avait démembré deux des dragons ; les autres s'accrochaient au sommet de la dernière pyramide de Mecia.

Ils le fuyaient.

Ryujin rit de plus belle.

Ils le fuyaient !

Les vents étaient si forts que des bâtiments entiers se détachaient du sol. Le Dragon se fit vent et encercla ses derniers adversaires. Les quatre esclaves creusaient des trous dans la pyramide pour s'y réfugier. Ces terriers fragiles s'éboulaient aussi vite qu'ils les excavaient.

Ryujin fit pression sur les pans de la pyramide. Le sol fut parcouru de vagues. Palm elle-même tremblait face à lui ! Le bâtiment millénaire se déconstruisit en une fractale de poussière, ses pierres minuscules séparées les unes des autres. La gravité détournait le regard. Étiré au maximum, le Temps semblait pouvoir se rompre à chaque instant. Ryujin agita cet air comme on cherche le poisson dans une eau trouble. Les dragons s'échappaient encore, essayant vainement de ressouder leurs membres épars.

Il laissa les rochers flottants retomber en une pluie mortelle. Comme il était air, ses mains et ses pattes pouvaient surgir de tout lieu et se refermer sur une de ces proies affaiblies.

Les dragons, s'étant écartés de lui, formaient désormais un bloc compact. Il ne fallut que quelques secondes pour que, poussés par l'instinct de survie, ils s'entre-dévorassent. Leurs corps fusionnèrent. Plusieurs pattes surnuméraires pendirent en tressautant avant d'être absorbées par le torse central, qui grossissait, et dont se détachaient plusieurs têtes d'hydre. Couvert de son propre sang noirâtre, le monstre fumait et hurlait comme un titan difforme des premiers âges.

Ryujin ramena à lui les extensions de sa volonté et se fit cristal indestructible. Ses poings fusèrent en direction de la créature. Une première tête craqua ; il l'arracha d'un geste. Une autre se referma goulûment sur sa main, mais ses crocs se brisèrent sur le cristal.

Et je vivrai encore.

Le Dragon frappa jusqu'à ce que toutes les têtes pendent sur les côtés. Le monstre vivait encore ; des yeux surgissaient entre ses côtes apparentes. Il synthétisa un rocher de milliers de tonnes entre ses bras levés et l'abattit sur la créature. Chaque choc répercutait dans le sol un séisme. Les remugles opaques qui tenaient ce corps debout se répandaient par flots.

Lorsque Ryujin s'estima victorieux, il leva sa silhouette face à la tempête. Il avait attisé l'ouragan. Celui-ci dévorait désormais un dixième de la surface de la planète. Il arrachait les forêts par poignées, déplaçait les fleuves, jetait à bas les montagnes et recouvrait les vestiges des villes de milliards de tonnes de roches.

Ryujin aurait pu empêcher ce phénomène, mais il ne le souhaitait pas. Palm devait être nettoyée de toute infection par le Stathme. Alors, seulement, celui-ci pourrait être renvoyé à son ombre originelle.

Loin, au Nord, se trouvaient encore des humains et des samekhs. Lorsque les cendres seraient retombées, Palm fleurirait de nouveau.

En une seule torsion d'espace, Ryujin retourna au corps de Zara, l'Architecte.

Et je vivrai encore.

Le Dernier Jour de MeciaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant