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Souvenir

Barcelone, Avril 2016

Une douce mélodie résonnait dans l'ensemble de la maison de Ninon. Ses parents étaient partis en week-end, laissant la brune seule chez elle. Bien sûr, comme à chaque départ, elle invitait Sandra pour avoir de la compagnie. L'été commençait à montrer le bout de son nez et les deux jeunes filles se trouvaient dans le jardin au bord de la piscine. En maillot de bain, Ninon pensait à l'avenir de son livre. Sandra s'était occupée de l'envoyer à plusieurs maisons d'édition et cela faisait six mois qu'elles attendaient une réponse. Seulement, elle ne savait pas que sa meilleure amie lui mentait depuis tout ce temps.

La blonde fumait une cigarette, en plein dans ses pensées. En réalité, elle avait reçu un mail, quatre mois auparavant.

Bonjour, Sandra, nous avons l'honneur de vous informer que votre manuscrit a été repéré par notre comité de lecture. Nous souhaiterons vous proposer un contrat pour publier votre livre.

Sandra n'avait pas réfléchi une seconde et avec accepté leurs propositions sans en parler à Ninon. Elle pensait bien faire, mais n'avait pas lu entre les lignes. Elle avait dit oui pour éditer le roman à son nom et non à celui de son binôme. L'erreur qu'elle avait commise la rongeait et elle ne trouvait pas comment le dire à Ninon. Elle savait pourtant que son amie n'était pas rancunière et qu'en lui expliquant les choses elle comprendrait sûrement. La peur de briser son amitié avec Ninon était plus forte que tout.

Ninon monta le son du poste radio qui jouait leur musique préférée. Elle se leva pour se dandiner et tendit sa main à Sandra. D'un signe de tête, elle refusa. Ce matin très tôt, elle avait reçu un mystérieux message. Ninon avait remarqué que depuis, elle tirait la gueule, comme si on lui avait appris la mort d'un de ses proches.

— Tu n'as pas l'air dans ton assiette. T'as tes règles ou quoi ? lança-t-elle à Sandra en riant.

Sandra ne releva pas la maudite blague de Ninon et ferma les yeux quelques secondes. Qu'est-ce que j'ai fait ? pensa-t-elle. Son amitié ou sa carrière ? Elle avait encore un mois pour réfléchir au problème. Elle détestait par-dessus tout mentir à sa meilleure amie. Ninon et Sandra se connaissaient depuis le bac à sable. Elles avaient toujours été là l'une pour l'autre quoiqu'il arrive. Mais à cet instant, un sentiment égoïste l'habitait. Il lui disait : pense à toi, ils n'accepteront pas de publier ce livre au nom de deux auteurs.

— Tu sais si c'est pour être comme ça toute la journée, tu ferais mieux de rentrer chez toi, dit-elle à Sandra en se rasseyant.

— Oui, tu as raison.

**

Barcelone, Mai 2016

Un mois s'était écoulé depuis que Sandra avait quitté la maison des Maze. Elle avait pris ses distances avec son acolyte pour se concentrer sur son travail d'écrivaine. Ninon n'avait rien compris, du jour au lendemain, elle n'avait plus eu de nouvelle. Des questions sans réponse lui parcouraient l'esprit jour et nuit. Ne sachant pas comment la joindre, elle avait été chez elle et sa mère lui avait tout bonnement répondu : désolé Ninon, Sandra ne veut pas te voir. Mais je peux lui laisser un message de ta part si tu le souhaites. Dans son regard, on pouvait lire qu'elle aussi était incompréhensive face à la situation.

Qu'est-ce que je t'ai fait ? lui avait-elle envoyé par SMS.

Au bout d'un moment, elle avait fini par s'y faire. Même si vivre sans la personne à qui elle tenait le plus lui brisait le cœur. Elle se rassurait, en se disant que les vacances étaient bientôt terminées et qu'elle serait obligée de lui faire face.

**

Un réveil douloureux, une envie de rester sous la couette. La rentrée était toujours un moment difficile pour chaque lycéen. Pour Ninon, c'était à la fois la dernière ligne droite avant d'obtenir son diplôme, mais également le jour où elle allait pouvoir revoir sa meilleure amie.

Ninon s'était habillée d'une jolie robe à fleurs et était allée à l'école, plus tôt que prévu. Dans l'espoir d'apercevoir Sandra avant que les cours commencent, elle s'était assise sur l'herbe devant son établissement. À chaque fois qu'une personne s'approchait d'elle, elle levait les yeux puis grimaçait en voyant que ce n'était pas la fille qu'elle recherchait.

Sandra, quant à elle, repoussait l'instant où elle rencontrerait Ninon. La rentrée était pour elle, l'angoisse de croiser son amie, mais aussi la publication de son livre. Aujourd'hui, « Promets-moi » allait paraître dans toutes les librairies de la ville et en plus de ça, un article dans le journal local allait parler d'elle.

— Coucou Ninon ! Tu diras félicitations à Sandra de ma part, lança Maria.

— Félicitation pour quoi ? l'interrogea-t-elle.

— Bah pour son livre ! Tu n'as pas vu la rubrique ?

Ninon arqua un sourcil. Comment ça ? se demandait-elle. Marie fouilla quelques minutes dans son sac, pour en sortir le magazine quotidien qu'ils distribuaient à chaque arrêt de bus. Elle tourna les pages pour trouver le paragraphe qui parlait de Sandra.

— Tiens ! Garde-le, je dois aller voir mademoiselle Binard.

La brune prit le journal en tremblant. Une photo de Sandra livre en main, accompagnait un minuscule texte.

— Une lycéenne de dix-huit ans vient de publier son premier roman à Dreamy Édition. Vous pourrez trouver son livre « Promets-moi » dans toutes les librairies de Barcelone, lut-elle à voix haute. C'est quoi ce bordel ? s'exclama-t-elle ensuite.

Ninon relut l'article plusieurs fois et regarda bien la photo de Sandra. Partagée entre haine et tristesse, Ninon n'arrivait pas à y croire. Comment est-ce que sa meilleure amie avait elle pu la trahir à ce point ? Elle s'en voulait également à elle-même de ne rien avoir vu venir.

Ninon se leva pour rentrer dans l'établissement, des larmes coulaient sur son visage. L'émotion était trop forte pour savoir ce qu'elle ressentait réellement. Une envie de hurler, de mettre son poing contre un mur et de se réveiller de ce cauchemar. Les regards des autres, elle s'en fichait. La solitude, c'est ce qu'elle cherchait dans les couloirs. À ce moment-là, elle aurait voulu être une petite souris, se cacher dans un trou et n'en sortir que quand elle irait mieux.

Sandra arriva dans l'établissement quelques minutes plus tard, chaque personne qui avait lu le journal la félicitait. Elle répondait modestement merci. La seule chose à laquelle, elle pensait, était Ninon.

— Sandra, j'ai vu Ninon passer, elle pleurait, lui dit-Marco en la croisant.

— Elle est où ?

— Je crois qu'elle allait en direction des toilettes.

Alors que Ninon était assise sur la cuvette d'un sanitaire, la porte s'ouvrit. Elle essuya ses larmes et retint ses sanglots. On toqua sur le bois et à travers l'ouverture en bas, elle reconnut les bottines dorées de Sandra.

— Dégage, dit-elle d'une petite voix.

— Je suis désolée Ninon, répondit-elle en posant sa main sur la porte.

— Désoler de quoi ? De m'avoir menti, trahi et blessé ?

— J'n'avais pas le choix.

— On a toujours le choix, hurla la brune en ouvrant la porte. Tu as simplement préféré choisir ta carrière que la nôtre.

— Ce n'était pas aussi simple Ninon.

— Alors quoi ? Maintenant, je devrais te féliciter à mon tour pour m'avoir volé la gloire ? s'écria-t-elle de nouveau entre quelques sanglots.

— Ce n'est pas ce que je te demande.

— Si, c'est exactement ça. Je vais devoir regarder ce fichu livre, publié à ton nom toute ma vie. 

ObnubiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant