John Watson fit bouger ses lèvres en une mimique ennuyée.
Il regarda un instant la fenêtre en face de lui. Le facteur, au visage assombri par sa casquette, glissait dans la boîte aux lettres du médecin un paquet de lettres et de publicités en tout genre. Ses gestes étaient rapides, et il s'en alla furtivement, partant de la rue d'un pas vif.
John eut un soupir, et déplia ses jambes pour chasser les fourmis qui y montaient. Il s'étira, faisant apparaître des points noirs dans ses yeux, et bailla à s'en décrocher la mâchoire. Il essuya avec habitude des larmes de fatigue qui perlaient sur ses joues creuses.
Le médecin se leva, attrapa son trousseau de clefs, posé sur une commode près de l'entrée, et s'aventura dehors, frissonnant. Des nuages gris mouchetaient le ciel, présageant une fine pluie, même si John prédisait plutôt une averse torrentielle, à l'image de son cœur. Il ricana, se moquant de lui même, et ouvrit sa boîte aux lettres. Ses mains prirent avec peine le paquet de lettres et d'enveloppes, jetant directement dans la poubelle la plus proche la dizaine de publicité colorée qui contrastaient cruellement avec son état d'âme. Il rentra chez lui, content d'être sorti dehors, et se promettant de raconter cet exploit à sa psychothérapeute, qui serait sûrement très fière de lui. Il avait quotidiennement des rendez-vous avec cette femme, qui lui donnait à chaque séance des "petits défis", pour le faire sortir de chez lui, le forcer à vivre.
John Watson était malade.
Malade de chagrin, malade d'ennui, malade de vivre.Combien de fois s'était-il dit qu'il finirait lui aussi par sauter, et pas sa future femme non, plutôt d'un toit ou du balcon d'un appartement où il avait passé les meilleurs moments de sa vie.
Mais il ne le faisait pas, car une part de lui espérait que son ami, son meilleur ami, Sherlock Holmes soit toujours en vie.
Cruelle espérance, à laquelle il s'accrochait continuellement, désespérément, se donnant une raison de rester là, dans ce monde insipide. Il avait l'impression qu'à la mort de Sherlock, celui-ci lui avait offert sa vision de la vie : ennuyante.
John laissa tomber les enveloppes contenant des factures et autres problèmes d'argent sur un meuble en bois, et entreprit de regarder les dernières lettres. Il les fit passer une par une entre ses doigts, lisant sans intérêt plusieurs fois son adresse inscrite avec des encres différentes et des écritures diverses. Il reconnut le lettrage de sa mère, de Mary Morstan, et une qui lui était inconnue.
Sherlock lui avait appris à étudier la manière dont les lettres avaient été écrites, et il reconnut sans peine un tracé impatient, légèrement tremblant, sûrement sous le coup de la fatigue, ou de l'émotion.
Il haussa un sourcil, posa les lettres des deux seules femmes s'inquiétant pour lui sur cette Terre et garda en main l'enveloppe au papier beige. Il la fit tourner entre ses doigts, hésitant à l'ouvrir. Il se surprit à hésiter pour ouvrir ou non une enveloppe et se sentit stupide.
Il l'ouvrit finalement, soupirant de sa bêtise, et écarquilla de grands yeux ronds en reconnaissant l'écriture en pattes de mouche qui courait sur le papier abîmé et humide.
Ses yeux restèrent accrochés à la première ligne, manquant de se remplir de larmes de rage et de douleur.

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"Cher Watson"
FanfictionDeux ans après le suicide de Sherlock Holmes, John Watson, l'ancien colocataire du grand détective, reçoit une lettre à sa nouvelle adresse, d'un destinataire inconnu. A travers une conversation épistolaire, aux multiples facettes, les deux protagon...