Eden.🦇

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-C'est encore loin ton bar?

Je ne sais pas ce qui m'a poussé à suivre bêtement mon oncle Marzio dans ce nouveau plan foireux. Dans la famille de mon père, tout le monde sait que c'est un aimant à problèmes. Mon oncle a toujours refusé de grandir. Il a pourtant passé le cap de la trentaine. Je crois que plus le temps passe et plus il l'a dur. S'il pouvait arrêter le temps, il le ferait sans la moindre hésitation.

Il n'est toujours pas marié. Il aime sa liberté. Flirter avec de jolies étudiantes venues décompresser est un vice auquel il n'est pas prêt de renoncer. Il vivait encore chez ses parents avant de venir s'installer chez moi prétextant vouloir me rendre la vie plus agréable. J'ai accepté, à contrecoeur. C'était ça ou je rentrais chez mes parents. Si je veux en apprendre davantage sur l'homme que j'étais et sur les personnes qui m'ont entouré durant les trois dernières années, je dois rester dans la capitale. Je cours peut-être après une cause perdue mais je préfère m'obstiner plutôt que de capituler.

C'est un lourd prix à payer quand on voit mon oncle Marzio. Il est incapable de réfléchir comme un adulte. C'est sûrement pour ça que grand-père Paolo a refusé de lui léguer l'entreprise qu'il a lui-même fondée, la maison Bellardi. C'est mon père qui en a hérité. Il voulait que je suive ses traces mais je nourrissais d'autres ambitions. Je voulais être archéologue. Avec tout le respect que j'ai pour mon grand-père, je ne voulais pas être à la tête d'une entreprise connue dans toute l'Europe et l'Amérique du Nord pour ses vins.

Le fait que je ne dirigerai sûrement jamais la maison Bellardi est l'un des seuls points communs que j'ai avec mon oncle. Autre point que nous avons en commun: le goût pour la fête et la drague. J'aimais séduire lors des soirées et conclure, pourquoi pas, par un baiser long et pasionné. Mais là, clairement, je ne suis pas à mon avantage. Avec ce fichu fauteuil roulant, je vais faire tâche dans le décor. J'ai la sensation désagréable que je me rends dans un endroit où je sais d'avance que l'on ne m'acceptera pas. Je n'ai jamais vu d'handicapés dans un bar, ce n'est pas pour rien. On me demandera de rentrer chez moi, c'est certain. J'avance derrière mon oncle dans une ruelle où règne un silence de mort, convaincu que le monde de la nuit m'est désormais fermé.

Le bar auquel il a tenu à se rendre vient d'ouvrir il y a à peine quelques semaines et s'appelle "L'Insanity". Après avoir vu le flyer sur lequel étaient représentés des barmen entourés de danseuses déguisées en arlequins prenant des poses on ne peut plus suggestives, je comprends pourquoi le bar porte un tel nom. Je suis prêt à parier que le personnel est aussi sain d'esprit que des évadés d'une asile. J'ai la boule au ventre. Je sais que mon oncle fait en partie cela pour me changer les idées mais je n'aime plus sentir le regard des autres s'attarder sur ma petite personne. J'ai beau avoir fait un effort de présentation, m'être coiffé pour l'occasion, ils me fixeront parce que je suis différent, parce que je n'ai rien à faire là, parce que je ne suis pas ou du moins plus à ma place.

- Regarde, je te l'avais dit qu'on était pas loin!

Mon oncle me pointe du doigt l'enseigne fluorescente de l'Insanity qui éclaire une petite rue plongée en grande partie dans l'obscurité. Première chose qui me saute aux yeux: l'absence de vigile. J'essaie de me redresser et jette des regards aux alentours. Personne pour jouer les trouble-fêtes. Je suis convaincu qu'avant mon "accident", les bars et boîtes de nuit de Paris m'ouvraient grand leurs portes. Ce soir, je me retrouve dans la peau de tous  ces gens qui font la queue, inquiets à l'idée de ne pas obtenir un "laisser-passer". Sauf qu'il n'y a aucune queue. Il y a seulement moi et mon oncle Marzio qui hésite à entrer.

-La vache, c'est samedi soir et c'est désert! me fait-il remarquer en se grattant le menton.

-Encore une de tes fabuleuses idées, ironisé-je. Bon, on entre? On a pas fait tout ce chemin pour fixer une enseigne.

Délit de Fuite.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant