Manette Mortelle Tome 1 - Les Maîtres du Jeu (Édité)

Chapitre 1 : Tristan

Un type qui rentre dans une boutique de jeux vidéo avec les bras chargés de livres, c'est vrai, ça fait désordre. Mais avoir installé Lignes d'or en face de Gamer Attitude, c'était vraiment de la provocation. Moi, je voulais juste acheter un cadeau de Noël à ma petite sœur. Mais en arrivant à l'endroit où les deux magasins se faisaient face, j'ai eu l'impression de sentir à travers les murs de la librairie l'odeur du papier neuf, d'entendre le doux bruissement des pages qui se tournent, de voir la myriade de couleurs des étalages. Et comme toujours, j'ai craqué : je suis entré. Le libraire me connait bien - je suis sans doute son plus fidèle client. Je suis reparti trente minutes plus tard avec pas moins de cinq livres. Et bien sûr, je n'avais pas de sac. J'ai couru jusqu'au magasin de jeux vidéo, afin que mes précieux ouvrages ne soient pas abîmés par le déluge qui s'abattait sur Nantes. Par chance, la porte n'était pas anti-panique. J'ai donné un coup d'épaule et suis rentré à toute vitesse, sous le regard ébahi des autres clients. Dans ma précipitation, mes livres sont tous tombés par terre, et moi avec. J'étais effondré par ma propre gaucherie. J'ai retiré mes lunettes, dont les verres ruisselaient, et les ai grossièrement essuyées à l'aide de mon pull. Je les ai rechaussées avant de ramasser mes livres et de me relever.

-On voit pas souvent des littéraires entrer ici ! Vous avez besoin d'aide ?

J'ai levé les yeux, et mon regard a croisé celui d'un type, la trentaine environ, les cheveux coupés en brosse. Son T-shirt portait un badge avec son nom : Florent. Léo m'a souvent parlé de ce gars. La plupart du temps, c'est lui qui la sert.

-Je cherche un cadeau pour ma petite sœur. Elle possède déjà le jeu que j'avais prévu de lui offrir.

-Ca arrive souvent. Quel âge a votre sœur ?

-Vous devez la connaître. Il s'agit de l'une de vos plus fidèles clientes, Eléonore Vaidivière.

Florent m'a souri.

-Effectivement, je la connais. Et d'ailleurs, j'ai de côté un opus que je lui réservais. Venez avec moi.

Sous les regards des autres clients, je l'ai suivi. Sans doute se demandaient-ils ce que ce binoclard qui portait la moitié de son poids en livres faisait chez les gamers. Arrivé au comptoir, Florent m'a présenté une boîte de jeu, que j'ai examinée.

En premier plan, on voyait une fille, assise contre un mur, la tête dans les genoux. Ses cheveux étaient très longs et très noirs. Ses vêtements étaient également très sombres. Un homme en blouse blanche lui tenait la main, mais elle ne le regardait pas. Autour de cette fille, il y avait six ombres, un peu comme des fantômes : une petite fille blonde aux cheveux courts, une jeune femme brune très belle, un ado avec une casquette, une jeune trentenaire au visage couvert de sang, un garçon qui ressemblait à la fille en premier plan, et une rousse à l'air féroce. J'ai regardé le titre du jeu : Madhouse. Une manière très péjorative de dire « asile » en anglais.

-Ca parle de quoi ? ai-je demandé.

-Aucune idée. Jamais entendu parler de ce jeu.

J'ai froncé les sourcils.

-Comment ça ? Vous l'avez bien commandé, non ?

-Non, m'sieur. On l'a trouvé dans nos cartons d'hier. Personne en a jamais entendu parler. Personne sait comment il est arrivé là. Il est même pas indiqué sur notre facture. Le plus grand mystère de l'histoire de ce magasin.