Chapitre 2

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CHAPITRE 2.

Devon

— Alors mon gars, qu'est-ce que je te sers ?

— Une bière. Et n'oublie pas les cacahuètes, morveux.

Je souriais à la remarque de Johnson, incapable de trouver la moindre répartie cinglante. À vrai dire, c'était surtout parce qu'il avait l'âge de mon père et que j'estimais lui devoir un certain respect. Ouais, on surveille toujours son langage avec les vieux. Mon père m'observait du coin de l'œil. Je l'ignorais cordialement. Avec lui, j'avais toujours l'impression d'être un gamin de quinze ans. Comme si le retour de Sullyvan l'avait replongé quelques années en arrière. Ou peut-être était-ce le fait d'être devenu subitement grand-père. L'équilibre de nos vies avait été bouleversé, et c'était une bonne chose. Mais lorsqu'elle avait débarquée en pleine nuit, Zelda dans les bras, ça nous avait fait un sacré choc. En une fraction de seconde, mon père devenait grand-père, et moi... tonton. Ce soir là, le bar avait été fermé plus tôt. Sans dire un mot, il s'était approché et avait pris Zelda dans ses bras. Et moi, j'avais serré si fort Sullyvan, que je l'avais entendu suffoquer. Elle m'avait tellement manqué. J'avais désespérément tenté de la retrouver. Pendant des mois, j'avais arpenté les villes alentours, j'avais questionné les quelques copines qu'elle avait. Rien. Personne ne savait où elle était. Nous n'étions sûrs que d'une chose. Elle s'était enfuie avec cet enfoiré de Lincoln. Et c'était la pire des décisions qu'elle ait pu prendre. L'idée même qu'un jour j'avais pu être ami avec lui m'avait alors paru encore plus pourrie que d'ordinaire. Il avait fait de ma sœur une loque. Un pantin qu'il manipulait, dont il se servait pour ses magouilles. Sullyvan avait tellement souffert de la mort de notre mère, quelques années plus tôt, qu'elle s'était révoltée contre le monde entier. N'importe quel prétexte était bon pour déclencher une dispute entre mon père et elle. J'avais essayé de calmer les tensions, sans succès. Et alors que je m'étais éloigné de ce sale type, Sully, elle, s'en était rapproché. Au fond, je pouvais presque comprendre qu'elle soit partie en découvrant qu'elle était enceinte. Mon père aurait certainement pété les plombs. Elle n'avait que seize ans et elle allait avoir un bébé. Pire encore, Lincoln en était le père et le mien le détestait. Alors quand elle avait débarqué avec ce petit bout de rien dans les bras, nous avions fait comme si ça n'avait pas d'importance, pourvu qu'elle soit rentrée à la maison. Depuis, nos vies avaient repris leur cours. J'avais rencontré Dawn et emménagé avec elle dans la maison juste en face de la notre. Sullyvan, elle, vivait toujours avec mon père. Je crois qu'au fond, elle se sentait plus en sécurité auprès de lui. Et ça me rassurait aussi.

— Tu crois que je te paie à rêvasser ?

— Quoi ? C'est pas comme si on était débordé, marmonnai-je en servant la bière de Johnson pour m'éloigner de la mauvaise humeur de mon père.

— Il y a toujours quelque chose à faire, ici.

— Ouais, ouais, je sais.

Je lâchais mon torchon pour filer au sous-sol. Le truc de mon paternel, c'était ça. Râler, pester, marmonner. Mais ça n'était qu'une façade. Sous ses airs d'ours mal léché, c'était un vrai tendre. Mais il préférait que ça ne se sache pas. Sans quoi, il aurait été moins respecté. Du moins, c'est ce qu'il pensait. Il n'y avait que Zelda qui parvenait à fissurer son masque. Peut-être parfois Dawn, aussi. Elle avait le chic pour lui arracher des sourires, même dans ses mauvais jours. Et... en parlant du loup.

— Mi amor, m'exclamai-je, remontant à peine de la cave, une caisse de bière dans les mains, que je lâchais pour l'enlacer.

— Chaton, roucoula-t-elle.

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⏰ Last updated: May 19, 2018 ⏰

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Pour elleWhere stories live. Discover now