CHAPITRE 1.
Sullyvan
J'observais Zelda avec tendresse, retenant le flot de larmes qui menaçaient de franchir la barrière de mes yeux rougis. Cette petite fille, si belle, si fragile, si innocente, était tout ce qui me raccrochait à la réalité. Tout ce qui me maintenait sur le droit chemin. À la regarder se concentrer sur son dessin, sans prendre conscience du monde qui l'entourait, qui pouvait dire qu'elle était différente. Après tout, l'était-elle réellement. Sur quel critère se basait-on pour définir la normalité ?
Ce petit ange, si sensible, c'était ma fille. Un petit bout de moi. Un petit bout d'un passé que j'aurais tant aimé pouvoir oublier. Mais après tout, c'était peut-être grâce à elle que j'avais la certitude de ne plus jamais refaire les mêmes erreurs. Elle me rappelait sans cesse qui j'avais été et ce que j'avais fait. Elle était simplement la preuve vivante que, même de la noirceur, pouvait naitre le bonheur. Un bonheur que je voulais protéger, coute que coute. J'aurais fait n'importe quoi pour elle. Parce qu'elle était autant ma force que ma faiblesse. Elle était mon tout.
J'avais souvent rêvé qu'elle ne lui ressemble pas autant. Pas à lui. Il était son père. Son géniteur. Moi, j'étais bien plus que sa mère. J'avais envie de le croire. Ses yeux sombres, ses cheveux noirs corbeau et ses mimiques ne faisait que me remémorer Lincoln. Et j'aurais tout donné pour pouvoir l'effacer de ma mémoire.
— Tu rêvasses encore, sœurette.
Je me dégageais des bras de Devon alors qu'il tentait gauchement de m'enlacer. Autant dire qu'il n'y avait rien de tendre dans ses gestes. Je ne doutais pas que mon frère m'aimait. Cependant, il avait une manière bien à lui de me le montrer. Comme par exemple de m'enserrer la taille pour me soulever sans aucune grâce. Et tout cela, en plein milieu du bar et alors que je tenais entre les mains, un plateau heureusement vide.
— Lâche-moi, Devon, pestais-je sans pouvoir retenir un sourire. J'ai du travail.
— Alors qu'est-ce que tu fais plantée là, au beau milieu de la salle ?
— Rien du tout. Je m'assurais simplement qu'elle allait bien.
— Bien-sûr qu'elle va bien, Sully. Elle est tellement absorber par son dessin qu'elle ne réalise sûrement pas qu'il y a du monde autour d'elle. Et puis, à mon avis, vu le volume de ses écouteurs, elle n'entend certainement rien d'autre que sa musique.
— Ouais, t'as raison. C'est juste que...
— Arrête, Sullyvan. Elle va bien, ok ?
Je fermais les yeux un instant et tentait d'effacer toutes les images de chaos qui envahissaient sans cesse mon esprit. J'avais appris à vivre avec la peur de la perdre. L'angoisse de l'avenir. Mais je n'avais pas encore trouvé de solution pour cesser d'angoisser chaque fois que Zelda était hors de ma vue. J'aurais voulu pouvoir l'emprisonner de mes bras pour toujours. Lui éviter les regards, les questions, le rejet. Mais par-dessus tout, j'aurais donné n'importe quoi pour avoir la certitude que, jamais, elle n'ait à savoir qui était son père et que Lincoln ne ressente jamais l'envie de faire sa connaissance.
J'inspirais profondément avant de retourner derrière le comptoir. Mon frère avait beau essayer de me rassurer, encore et encore, j'étais incapable de me sentir en sécurité. Mon retour à la maison avait été une surprise pour tout le monde. J'étais arrivée en pleine nuit, ici même, dans le bar de mon père. Devon et lui avaient mis quelques instants interminables avant de réaliser que j'étais bel et bien là, devant eux. Les vêtements et les cheveux trempés par la pluie, et une petite boule d'amour lovée au creux de mes bras. C'était il y a cinq ans, et rien n'avait vraiment changé depuis. Je restais toujours sur le qui-vive. À l'affut du moindre bruit, observant inlassablement l'entrée du bar comme si Lincoln allait débarquer d'une minute à l'autre pour m'arracher Zelda. Pour me plonger à nouveau dans l'enfer de la vie que j'avais menée avec lui. Je m'étais promis de protéger ma fille de l'existence sordide qui était la mienne. La notre. J'avais essayé de rester auprès de lui. Deux ans après la naissance de Zelda, je cherchais encore un moyen de croire à un futur plus serein. J'avais même tenté de le convaincre de tout arrêter, pour nous. Pour elle. Il m'avait ri au nez, avait jeté un coup d'œil à notre fille, endormie sur un vieux canapé crasseux, les débris de la soirée de la veille jonchant encore le sol, ici et là. Puis il m'avait saisi les cheveux, m'arrachant une grimace, et avait murmuré :

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Pour elle
Storie d'amoreIl n'y a ni bon, ni mauvais choix. Il existe simplement un risque à prendre. Peu importe les raisons qui nous poussent à choisir un chemin à emprunter, la route n'est jamais toute tracée. Je l'ai appris à mes dépends. Je l'ai compris grâce à elle. E...