Partie 3/4 : Nutella 3

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Nutella 3

Depuis la haie vitrée de son bureau Christiane examine sceptique la verdure qui borde les rails du tramway : une herbe plus très fraîche, rasée de loin. Braune, braune... Son téléphone vibre, résonne sur le plateau de verre... une petite souris blanche s'affiche en travers, elle hésite... bah elle décrochera plus tard, si la souris persévère...

Neuf heures du matin, Christiane vient d'arriver... pas question de commencer la journée sans se récompenser. Se récompenser d'être encore en vie, en corps envie... Elle ouvre le tiroir juste devant elle, contemple le paquet de 120 dosettes de 15 grammes de Nutella... tergiverse. Pourquoi être raisonnable ?! Vade retro les escarpins, partie droite du sous-meuble, elle sort l'attirail, chausse ses palmes... dépaysement immédiat. Quand on pense qu'elles deviendront huile de palmes, fascinant tout de même ! Partie gauche du sous-meuble : bocal à poissons rouges. Trois tentatives... trois échecs... trois meurtres... « I'm a criminal I'm, I'm a criminal, I'm a criminal I'm, I'm a criminal », la mélodie de Justin Nozuka tourne en boucle dans sa tête... Probabilité de survie du cyprin doré aux bons soins de Christiane : 0%. Pas la main rouge clairement. Prison ferme directement.

Recyclage oblige, le bocal est devenu calice... calice à Nutella bien sûr, avec un superbe couvercle liège fabrication maison. Christiane part à la chasse, no masque, no tuba, nor arbalète, une cuillère fera l'affaire... cuillère à manche vague qui ondule... toujours respecter le thème. Armée de sa cuillère donc, elle soulève délicatement le couvercle, hume avec bonheur... un autre monde s'ouvre. Elle s'immerge... guidée par les spectres de poissons rouges ou dirigée par l'esprit Noisettes ? Qui sait ? Le sous-marin vogue loin, loin... incroyable pouvoir des parfums... Vaisseau gourmandise, emmène-moi vers l'exquise insouciance, le ravissement divin...

La cuillère effleure la surface, pénètre la masse avec lenteur, affectueusement, voluptueusement... L'inox ressort chargé de la divine substance. Première caresse de langue, matière veloutée... Là, là, tout doux mon amour, velours fondant, prendre son temps... étaler sur le palais... Mumm, délicieux... Pas d'éléphants roses dans le ciel bleu, non... juste l'univers du plaisir, la saveur Douceur... qui s'étire en Langueur.

Deuxième caresse de langue. Addiction subtile au cacao, à la noisette sucrée... L'Onctueux chavire Christiane... liane du désir qui s'enroule, se déroule insidieusement, tourbillonne, rebondit, envahit sa bouche...

Troisième caresse de langue. Christiane prend de l'altitude... bascule dans le cotonneux. Funambule, perdue dans les nuages... Quelques oiseaux blancs... immenses, immenses... Guimauve en guise de plumes, ailes déployées dans la vastitude... Christiane plane en sereine attitude.

Quatrième caresse de langue...

Crutchie, crutchie... Tiens un bruit étrange en provenance de la reproduction acrylique « Primavera ». Crutchie, crutchie... la peinture s'écaille en haut, à divers endroits du feuillage... une dizaine d'aiguilles vertes émergent de la toile... « Ah ben enfin pas trop tôt ! » s'exclame Christiane... De délicates feuilles vert tendre sortent lentement du tableau... les branches des orangers se mettent à pousser en dehors de la toile... quelques fleurs suivent aussi... Botticelli instigateur du mur végétal. Christiane l'a toujours su, subtil, raffinement, grâce : la délicatesse s'avère vitale... ô Italie, hommage à toi prolifique pays de l'art... fertile terre natale...

Mais soudainement la croissance végétale s'arrête. Quoi, qu'est-ce ?! Christiane se lève, marche à reculons avec ses palmes, arrive à hauteur du Botticelli, s'insurge et crie : « Quand vas-tu donc te décider à donner tes fruits ?! » Elle arrache l'une des branches, retourne à son bureau, s'assoit, s'évente avec... Contrariée, elle repose le rameau, tapote en rythme avec ses doigts : taganda, taganda, taganda...

NutellaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant