Chapitre 2 - Obsession

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On était dans la merde.

Et il n'y avait aucun moyen de s'en sortir. A moins de dire la vérité. Mais ce serait un trop gros enjeu et on ne pouvait pas le risquer. Cette fille était revenue quatre fois depuis ce premier rendez-vous où je n'ai pas réussi à rentrer en contact avec ce fameux Gabriel. Elle me harcelait, m'insultait, et en plus de ça foutait en l'air ma réputation de médium reconnue. Je savais ce que je faisais, comment utiliser les dons qui m'avaient été donné ; et je savais aussi que dans son cas, rien ne me permettait d'établir un contact avec ce Gabriel. Seulement, la raison était trop obscure pour que je la lui révèle. Dire une telle vérité à une inconnue serait briser les règles, et dans ce monde, briser les règles était dangereux. Pour elle, comme pour moi.

Elle était revenue aujourd'hui. C'était la cinquième fois en trois semaines. Du jamais vu. Cette nana devenait complètement folle. Et très insistante.

- Écoute... Maïa, c'est ça ?

J'avais commencé à la tutoyer. Après tout, on devait avoir à peu près le même âge, et ce n'est pas comme si je ne commençais pas à la connaître...

- C'est au moins la quatrième fois que je viens dans ce trou à rat et tu doutes encore de mon prénom ? s'écria-t-elle. Bon, je ne vais pas passer par quatre chemin. Tu es médium, c'est marqué sur ton fichu panneau devant ta foutue caravane. Le peu de gens que j'ai croisé ici ne m'ont dit que du bien de toi, alors POUR-QUOI, tu ne veux pas m'aider ? POURQUOI ?

Ce n'était plus de la folie, mais de l'hystérie. Cette fille était obsédée.

- Maïa, je suis vraiment désolée, mais dans le cas de ton ami, la connexion est impossible à établir. Il a sûrement déjà dû franchir le portail et être au paradis... tentais-je.

- Je ne crois pas à ces conneries.

- Pourtant tu crois bien au fait que des personnes comme moi puisse rentrer en contact avec les morts...

Elle ne savait plus quoi répondre. Elle commença à se ronger les ongles, à taper du pied sur sol, lorsqu'elle se leva.

- Je suis désolée, me dit-elle les yeux humides, je suis devenue complètement folle avec cette histoire. 

- Tu... devrais peut-être consulter un psychologue, ou...

- Pourquoi ? Faire mon deuil ? Ce n'est pas comme ça que ça marche.

- Ce n'est pas en revoyant ton petit-ami une dernière fois d'entre les morts que ça marchera.

Et sur ces mots, elle était partit. Elle me faisait de la peine mais je ne pouvais rien lui dire. Du moins, c'est ce que j'espérais...

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Vous connaissez cette sensation, lorsque vous avez l'impression que tout vous tombe dessus et que vous ne pouvez rien y faire ? Mon propre toit me tombait sur la tête, les nuages, même le ciel s'effondrait au dessus de moi. Je me voyais pencher du mauvais côté, incapable de faire quoi que ce soit.

Certains des philosophes que nous avons étudié en cours pensent que la mort n'est pas quelque chose dont nous devrions être effrayé. Car, après tout, ce n'est pas la Mort elle-même qui nous effraie. C'est son attente. C'est le décompte de la vie. On nous raconte tellement de choses, de conneries sur le fait de profiter de notre jeunesse, qu'une fois celle-ci passée, on se dit que c'est fini. Voilà pourquoi on cherche tant à être heureux, à combler ce vide. Ce vide qu'est la vie. A notre naissance, la vie n'est qu'une page blanche. A nous de l'écrire, de faire des ratures, de les gommer et de recommencer. Lorsqu'une de ces pages se tournent, c'est un renouveau. La fameux nouveau chapitre. Et lorsque les pages commencent à manquer, le livre se ferme. Et alors, il se meurt dans nos pensées. C'est pour cela que la mort n'est pas quelque chose que l'on peut oublier. On n'oublie jamais la lecture d'un livre précieux. On oublie jamais une vue vécue.

Parfois, je me rappelle ce que notre professeur de philo nous disait : "Pour Socrate, la mort c'est la séparation de l'âme avec le corps. La libération de l'âme de cette prison qu'est le corps."

Je repense à ses mots pour me rassurer et me dire que l'âme de  Gabriel vadrouille quelque part, heureux comme il l'était avant...

- Et toi, Maïa, tu crois qu'après la mort... on a une autre vie ? me demandait-il.

- Je sais pas trop, ça ma l'air un peu tordu cette histoire.

Il semblait pensif ce jour là. La question semblait le tarauder, et quand je repense à son comportement, je me demande s'il savait qu'il allait mourir. Si cet accident de voiture n'était pas seulement un accident, mais un suicide.

- Imagine, continua-t-il, que lorsque tu meurs, ton corps reste là, mais ton âme, ce qui est en toi s'envole vers un autre corps. Une nouvelle naissance, un nouveau toi.

- Tu parles de la réincarnation. Attends, mettons que cette idée est vraie... cela voudrait dire que... Hitler est encore en vie ? Mais dans un autre corps ? Que peut-être il s'appelle John, qu'il est australien et que c'est un médecin !

- Wow, alors déjà, pourquoi Hitler ? T'as pensé à Einstein ?! Je suis sûr que je suis sa réincarnation.

- Impossible ! me moquais-je.

-Comment ça impossible ? Est-ce que par hasard tu serais en train d'insinuer que...

Ce jour là, on n'avait pas seulement parlé de mort et de réincarnation. Non, on avait parlé de tas d'autres sujets moins morbides. Avec Gabriel, on pouvait parler de tout, il savait toujours quoi répondre. Mais ce jour là, il avait fait bien plus. Il m'avait dit qu'il m'aimait. Nous étions depuis un an, "ensemble", ou "en couple" ; à vrai dire je n'aime aucune des expressions qui désignent deux personnes qui s'aiment. Et pourtant on se connaissait depuis plus de quatorze ans. Notre relation a toujours était ambiguë. En primaire, nous étions des "amoureux", comme les jeunes enfants aiment le dire, on ne savait pas encore ce que c'était d'aimer vraiment, et pourtant on était, certes timides, mais déjà inséparable. Au collège, on ne s'est côtoyé que les deux premières années. Durant les deux autres qui suivirent, on se contentait de se dire bonjour, de se demander si tout allait bien. Il avait eut une copine durant cette période là, ça avait duré quelques mois. Elle s'appelait Sara. Finalement, c'est au lycée que nous sommes redevenus inséparables, et lors de notre dernière année que l'amitié s'est trouvée être de l'amour.

Tout ça pour vous dire qu'au bout d'un an de relation, il m'avait dit qu'il m'aimait. Un an, ça peut vous paraître long, mais pour des personnes comme nous, le dire n'était pas une obligation dans les étapes de notre relation. Puis, a quoi bon s'avouer que l'on s'aime alors qu'on peut le prouver avec des actions ? Je savais que Gabriel était une personne très fermée niveau sentiment, tout comme je le suis, c'est pour quoi on ne s'était jamais vraiment fait de beaux discours pour se dire a quel point on s'aimait. Il trouvait ça trop "romantique" et pas nécessaire, parce que "tu sais déjà ce que je ressens pour toi quand je te regarde". Mais ce jour là, lorsqu'il m'a dit ces mots, quelque chose avait changé. Et quelques heures après, sa voiture avait été retrouvée enfoncée dans un arbre.

Je ne crois pas aux coïncidences.

Je n'ai jamais parlé de ça à personne, que ça aurait pu être un suicide. Mais je savais que Gabriel n'aurait jamais fait ça. Quelque l'avait fait à sa place. Je ne savais ni comment, ni pourquoi, mais ce n'était ni un suicide, ni un accident. C'était un meurtre.

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