33. défense

8.7K 633 230
                                    

Le vibreur de mon téléphone persiste, et Eden, allongé à côté de moi, endormi, commence à ronchonner. Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est, juste que nous avons mis le réveil à 8h puisqu'on a cours à 10h. Un œil vers les volets fermés ne me permet pas d'estimer plus facilement l'heure.

Mon téléphone a déjà vibré longuement il y a cinq minutes, mais comme ça n'avait pas l'air d'avoir réveillé Eden, j'ai laissé couler. Mais maintenant, le voilà qui se retourne en cachant son visage sous la couette. Allongé sur le dos, du côté du mur, je garde les yeux rivés sur le plafond.

Tout était si bien, si agréable, que j'ai l'impression que si je me levais pour aller répondre à ce téléphone, tout disparaîtrait  instantanément. J'aurais aimé dormir un peu plus longtemps, lové au milieu des draps d'un lit qui ne m'appartient pas, dans les bras d'un garçon qui ne m'appartient pas non plus, et c'est peut-être mieux comme ça. J'aurais aimé garder en moi les sensations de la veille, les confidences et les secrets révélés, l'idée que la distance a enfin été franchie, que le fossé a été enjambé, le mur gravi. Ce matin, je retombe, les deux pieds sur terre, plus violemment que je ne l'aurais voulu. Je sens encore cette force en moi, un peu comme un sentiment de légèreté qui gravit autour de mon estomac, et une à une, des pierres tombent au milieu de ce vent de légèreté, et elles l'alourdissent.

Je ferme les yeux, et je sens soudainement la main d'Eden sur mon visage, il le tâtonne comme s'il n'était pas sûr que je sois près de lui.

-C'est ton téléphone, marmonne-t-il, à moitié endormi. Va répondre.

Il me pince la joue et je tourne la tête vers lui. Il est allongé sur le ventre, la joue posée sur son oreiller et la couette recouvrant presque entièrement son visage. Je me penche vers lui et cache mon nez dans ses cheveux, mais il me repousse en me tournant le dos.

- Réponds à ce satané téléphone, ronchonne-t-il.

Je rigole tout en enlevant la couette de son corps et en embrassant son épaule nue. Il se retourne légèrement, juste sa tête, et me jauge avec des yeux mi-clos mais cependant très expressifs, et surtout, avec un air de tueur.

- Je déconne pas, c'est chiant.

Je lui fais une petite moue, et alors que nous n'avions même pas pris conscience que le téléphone avait arrêté de vibrer, il recommence. Je pose ma bouche sur son épaule et laisse échapper un très long soupir.

- Ok...

Je me redresse et l'enjambe en faisant exprès de l'écraser, ce qui le fait râler encore plus. A retenir, Eden n'est pas du matin.

Je me traîne jusqu'au bureau d'Eden, où j'ai laissé mon téléphone hier soir. L'écran est allumé et c'est seulement une fois que j'ai l'appareil en main que j'arrive à lire le nom de la personne qui m'appelle.

Papa.

Mon cœur fait un bon dans ma poitrine. J'arrive à lire l'heure sur l'écran, il est à peine sept heures et demie. Je sens le téléphone vibrer une dernière fois dans ma main avant que l'écran ne redevienne noir. Je le déverrouille et constate que j'ai bien deux appels manqués de mon père. Une sueur froide coule dans mon dos nu. Ma main tremble alors que j'attends, fébrile, de voir si mon téléphone va se remettre à sonner. Et au moment où je me dis que je vais peut-être m'en sortir, oublier totalement ce qui est en train de se passer, l'écran s'illumine de nouveau.

Je me retourne, un peu perdu, l'œil hagard. Eden a les yeux clos et semble s'être rendormi sans aucune difficulté. Un de ses bras pend le long du matelas et ses cheveux cachent son front en formant des épis sur l'oreiller. Mon cœur bat la chamade. J'ai envie d'éteindre mon téléphone et de tout simplement retourner me blottir contre Eden.

Pour que tu m'aimes encoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant