6. agacement

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Je me suis crispé de la tête aux pieds. Et encore, crispé est un bien petit mot. Je suis devenu une statut, et si je pouvais rester tel quel jusqu'à ce que la fête soit finie, j'en serais particulièrement reconnaissant. Personne ne ferait attention à moi, et je suis d'ailleurs persuadé que je ne manquerais à personne. Il y a une différence entre croiser Eden dans ce genre de soirée, en être pleinement conscient et donc faire en sorte de l'éviter, ça, je suis venu avec cet intention, j'en aurai été capable, mais avoir carrément Anton qui lui demande de venir près de nous, ça, c'est au dessus de mes forces, et je ne peux même pas inventer une excuse parce que ma langue reste collée à mon palais. Ou alors, c'est peut-être moi qui ait été idiot. J'aurais dû me douter qu'Anton est ici à cause d'Eden. Sa licence de droit ne fait pas partie de notre université, et cette soirée est organisée pour l'intégration de ceux en Histoire de l'Art. Il n'avait rien à faire ici, si ce n'est pour Eden. J'aurais dû être capable de faire le lien. 

Anton continue de regarder par dessus mon épaule, un sourire éblouissant sur les lèvres, pendant que moi, je reste, la gorge sèche, à regarder droit devant moi. J'essaye de me persuader que je ne vais pas en mourir, que ce n'est pas la mer à boire, mais je ne peux m'empêcher d'avoir des sueurs froides, soudainement. Au moins, je peux dire que si je transpire à ce point, c'est à cause de la chaleur dans le bar. Anton n'a aucune idée de la réaction qu'il est en train de provoquer chez moi, mais tout comme à cette soirée, c'est lui qui nous réunit. Il était remonté dans mon estime, mais peut-être que je devoir le faire redescendre, il en va de ma santé mentale.

Même si Eden ne doit se trouver qu'à quelques mètres de nous, et doit être en chemin pour venir nous voir, j'ai l'impression que le temps s'écoule à une vitesse si lente que je pourrais attraper une mouche en plein vol. J'ai le temps de penser à des dizaine et des dizaine de choses, imaginer tout un tas de scénarios sur ce qu'il pourrait faire, ou dire, ou ne pas faire, ou ne pas dire. J'essaye de trouver ce qu'il serait approprié de dire à ce que lui, pourrait me dire, ce me laisse beaucoup de possibilités, ou encore ce que je ne dois absolument pas dire. Peut-être que le mien serait tout simplement que je ne dise rien. Et pourtant, quand je vois son ombre passer à côté de moi et se poster près d'Anton, mon cerveau se vide d'une traite, et me voilà incapable de réfléchir. Comme un ballon qui se dégonfle, il ne reste plus rien à l'intérieur de ma tête, pas même de l'air.

Anton passe un bras sur les épaules d'Eden et me montre d'un doigt malpoli.

- Eden, tu te souviens de Solly ?

Eden se tourne alors vers moi comme s'il venait seulement de remarquer ma présence. Il porte un t-shirt bleu foncé, très ample et ouvert sa peau blanche et son cou déjà trompé de sueur. Son regard croise le mien, mais je détourne immédiatement les yeux, les posant sur mon verre qui vient de m'être servi, et pourtant, il est beaucoup moins intéressant que la silhouette d'Eden. Ma salive reste bloquée dans ma bouche et j'ai les mains moites, je me retiens même de tousser tellement je suis mal à l'aise et que j'aimerais me faire le plus petit possible. D'ailleurs, s'ils pouvaient oublier ma présence, ce serait super. Mais c'est le moment de vérité, je ne peux plus faire marche arrière. Je ne sais pas vraiment ce que cela me fera, peu importe ce qu'il dit, alors pourquoi suis-je aussi mal ?

- Euh ouais, vite fait... A ton anniv, y'a un bout de temps, non ? demande Eden, le visage impassible.

Il tend alors la main vers moi. Ses veines ressortent sur son avant-bras. J'arrive pas à croire que je remarque ce genre de chose pendant un tel moment.

- Salut, continue-t-il d'une voix monotone.

Surpris, et près à en tomber de ma chaise, je lui sers la main, tout en me dépêchant de la ramener vers moi pour la faire prendre mon verre et l'amener à mes lèvres, pour me donner un air décontracté, je pense. Mais c'est surtout pour que la fraicheur du verre contre ma peau me permette d'oublier la chaleur qui m'a gagné à son contact, et que je ne peux délibérément pas oublier. Cependant, mon esprit est toujours vide.

Pour que tu m'aimes encoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant