Ils avaient monté deux escaliers et franchi de nombreuses portes pour enfin arriver au dernier étage de cette maison, dans un énième couloir toujours obscurci par les bougies bientôt entièrement consumées. Elle sortit un petite clé rouillée de son bustier qu'elle inséra dans la serrure d'une petite porte en vieux bois noir, lorsqu'elle se décida enfin à s'ouvrir elle laissa apparaître une modeste chambre dont la luminosité jurait terriblement avec celles de toutes les autres pièces qu'il avait pu voir pour le moment. Elle entra dans son médiocre lieu de vie tout en invitant Hippolyte à faire de même, il hésita pourtant alors il se glissa rapidement de l'autre côté de la porte avant qu'elle ne ferme cette dernière.
"Je m'excuses pour tout à l'heure, Suzanne est assez... entreprenante avec les clients. Je lui avait pourtant déjà dit de ne pas brusquer les hommes, ça les fait fuir, lâche-t-elle en même temps qu'un petit rire doux s'échappe d'entre ses lèvres."
Elle se présenta sous le nom d'Apolline et lui tendit sa main avec un grand sourire, il répondit avec un sourire également.
"Hippolyte"
Ce fut le premier mot qu'il réussi à articuler correctement devant la jeune femme.
Il ne savait pas pourquoi mais quelque chose en elle l'intimidait, l'intriguait aussi et l'attirait. Immobile dans un coin de cette chambre, il observait les faits et gestes d'Apolline qui remettait ses draps en ordre et rangeait un petit bureau avec des pinceaux. Ce petit détail excita la curiosité du jeune homme qui se sentit soudainement très à l'aise, il s'avança vers le fameux bureau en ne quittant pas des yeux les outils de peintures qui semblaient l'appeler. Il prit un pinceau entre ses doigts et lança un regard enfantin à la jeune femme.
"Je peins aussi, je suis un artiste aussi. Montres moi tes tableaux je t'en prie. Je n'avais encore jamais rencontré une femme peintre, surtout une fille de joie."
Le visage d'Apolline qui s'était émerveillé de la révélation de l'homme se ferma aussitôt à l'entente de ces dernier mots, Hippolyte compris alors l'erreur qu'il venait de commettre, il se précipita vers elle et agrippa ses poignets blancs. Une étrange proximité s'était promptement instaurée entre les deux êtres qui semblaient se connaître depuis toujours, Hippolyte, de nature réservé, n'était en rien gêné par cette intimité subite et Apolline, qui avait elle l'habitude d'être aussi proche de nombreux hommes, ressentait un autre sentiment qu'elle n'avait jamais connu auparavant et cela l'effrayait.
Le regard de cette dernière s'apaisait peu à peu, elle ne lui en voulait pas. Sans un mot elle se détacha de l'emprise masculine puis doucement se glissa à travers la pièce jusqu'à une grande malle qu'elle ouvrit après plusieures manoeuvres avec le verrou, une fois ouverte elle se déplaça afin que le jeune homme puisse en voir le contenu. Des toiles dans tous les sens, de toutes les couleurs, sortaient de la malle; elle en tira une qu'elle aimait tout particulièrement, c'était la représentation d'une femme nue, allongée sur un lit défait entourée d'hommes, prosternés au pied de ce dernier, dont on ne pouvait apercevoir le visage.
"C'est magnifique, le jeu de couleur est digne d'un professionnel, les courbes sont splendides et le drapé est si bien réalisé, tu as un vrai talent Apolline, pourquoi gardes-tu tous ces chefs-d'oeuvres enfermés dans une malle ?
-Je ne saurais pas où les mettre, quelle galerie d'art voudrait exposer les tableaux d'une fille de joie ? De plus, je ne veux pas peindre pour les gens de ce monde qui ne comprennent pas la vraie valeure de la peinture, qui se préoccupent plus du sexe de l'artiste que du message qui cherche à être passé. Je ne veux pas être obligée de peindre le portrait d'un aristocrate qui se moque des autres classes sociales qui dépérissent à vue d'oeil dans la boue et la faim.
-Tu es la première femme que je rencontre qui ressent les mêmes sentiments que moi envers cet société.
-J'ai l'impression que je suis beaucoup de premières rencontres pour toi aujourd'hui.
-Cela te déplaît? demanda Hippolyte en se surprenant lui même de son audace inopinée."
Apolline posa le draps qu'elle était en train de plier pour se rapprocher de cet inconnu qui lui semblait pourtant si familier, si intime. Cette sensibilité qui l'avait envahie depuis sa rencontre était un sentiment encore étranger pour la jeune femme.
"Du tout."
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Apolline
RomanceApolline a dix-huit ans en 1889, ce n'est qu'une grande enfant, une jeune femme et pourtant elle excelle dans des domaines dont elle ne devrait pas connaître l'existence. Toute sa vie change lorsque son destin croise celui d'un jeune artiste, nommé...