Chapitre II

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Dans ces moments-là, elle avait une forte envie de se dire qu'elle avait la force de s'en sortir. Alors elle attrapa ses médicaments, enfila sa veste, et sortit par la fenêtre. Elle préférait éviter que ses parents soient au courant. Ils lui poseraient des questions. Ils la jugeraient si ça se passait mal. Ou si ça se passait bien, ils la féliciteraient, et c'était presque pire.

Mais à peine le pied posé dehors, sa respiration se fit difficile. Sa tête commença à tourner. Son estomac se serra. Sa poitrine aussi. Mais elle lutta. Elle lutta de toutes ses forces et s'obligea à respirer lentement, se concentrant sur chaque inspiration. Elle s'assit au sol et ferma les yeux. Les minutes s'écoulaient, elle commençait à désespérer. Elle prit un cachet. Elle se parlait, dans sa tête, pour s'encourager. Allez, Agony. Tu peux le faire. Tout va bien. Il ne t'arrivera rien. Respire. Respire. Tu es forte. Tu es plus forte que ça. Tu vas le faire.

Ses forces commençaient à revenir. Encore quelques minutes, et elle trouva le courage de se relever. Effrayée, mais déterminée. 

Elle avait besoin d'un programme. Elle avait besoin de savoir précisément ce qu'elle allait faire. C'était peut-être stupide, mais ça la rassurait. Elle aimait quand les choses étaient prévues et encadrées. Elle sortit un carnet et un stylo de son sac – poser son programme sur papier lui semblait être la meilleure option. Elle réfléchit. Elle avait besoin d'aller à la Poste. Il lui fallait des timbres et des enveloppes. Dans les moments où elle n'arrivait plus à sortir ni à parler, elle coupait son téléphone, et son seul moyen de communiquer avec Paulina était de lui écrire. Ces périodes pouvaient durer des semaines. Alors bien sûr, les réponses mettaient du temps à arriver, et c'était souvent assez difficile. Mais elle aimait écrire des lettres. Le côté non technologique de l'exercice lui semblait rassurant. Et dans ces moments, elle avait plus que tout besoin d'être rassurée.

Elle griffona quelques mots dans son carnet, les contempla, puis jugea qu'une excursion à la poste représentait déjà un effort gigantesque et referma le cahier. Elle inspira, se leva et se mit en route.

Elle devait prendre le métro pour s'y rendre. Il était plus de quinze heures. Ce n'était pas une heure de pointe. S'il y avait quelque chose qui la faisait angoisser plus que tout, c'était d'être collée à des personnes qu'elle ne connaissait pas dans un habitacle fermé, le nez agressé par leurs odeurs de transpiration. Mais là, elle n'aurait pas à supporter ça, et elle pourrait même certainement se payer le luxe d'une place assise. Elle était capable de le faire.
Elle se mit en route vers la bouche de métro. On était en plein mois de mai. Le soleil de l'après-midi tapait fort sur l'asphalte, mais une brise printanière venait caresser sa peau pour la rafraîchir. C'était agréable. Elle aurait presque pu se sentir à l'aise... Jusqu'au moment où quelqu'un la bouscula en maugréant des jurons. Le choc l'empêcha de réagir. Elle se ratatina intérieurement. Elle s'assit à nouveau, sur un banc cette fois. Elle n'était définitivement bonne à rien d'autre que gêner ses congénères. Elle posa sa tête entre ses mains et commença à pleurer, luttant pour respirer. Elle désespérait. Elle n'y arriverait jamais.

« Hey ? »

Une voix fluette interrompit ses pensées. Oh non, pas ça... Elle n'était pas capable de répondre maintenant.

« Hey, ça va ? »

Elle sentit quelqu'un s'asseoir à côté d'elle. Mais les gens ne pouvaient pas se mêler de leur cul, comme à leur habitude ? Elle ne voulait pas parler. Elle ne pouvait pas parler. Elle ne voulait même pas la voir.

Mais la personne à côté d'elle ne semblait pas décidée à laisser tomber. Elle posa sa main sur son avant-bras. Agony recula dans un geste vif en lançant un regard noir à cette présence incongrue.

C'était une jeune femme rousse, habillée d'une robe bordeaux. Elle ne semblait pas avoir plus de dix-huit ans. Un air soucieux gâchait son joli visage recouvert d'une constellation de taches de rousseur. Mais Agony n'avait tout de même aucune envie de lui parler.

« Je peux faire quelque chose pour toi ? Tu veux boire un peu ? J'ai de l'eau dans mon sac, si tu veux. »

Et elle joignit le geste à la parole en tirant une bouteille de son sac.

Non. Fous-moi la paix. Dégage.

Malheureusement, Agony n'avait pas le courage de formuler ses pensées à voix haute. Elle n'avait pas la force de se battre. Elle prit la bouteille sans un mot et en but une gorgée.

« Tu dois aller quelque part ?
- La poste.
- Ah bah enfin, j'entends le son de ta voix. Tu veux que je vienne avec toi ? »
Agony rougit.
« Non.
- Tu es sûre ?
- Non.
- Ca me dérange pas. J'ai rien d'autre à faire.
- Ok.
- Tu veux ?
- Ouais. »

La jeune femme se leva alors et tint sa main à Agony, en souriant. Celle-ci accepta son aide et se releva, non sans un curieux sentiment. Pour la première fois, cela ne ressemblait pas à de l'angoisse, mais plutôt à une certaine forme de réconfort.  

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