« Un grand »

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Un discours qui vaut trop peu finalement. Parce qu'on est pas sérieux quand on a 18 ans. On est juste des gamins qui grandissent un peu trop vite, qui se perdent dans le labyrinthe de la vie et qui espèrent découvrir un monde magique. Plus responsables, plus intelligents et plus matures. Des presque adultes qui agissent selon les critères de la société. Tu sais, voter, le permis de conduire, les remarques qui résonnent dans ta tête, le stress permanent et le flippe de la vie. Le regard des gens aussi. De eux tu sais, les autres. Les remarques envers la personne que tu es sensé devenir. Un adulte, un grand.

Je dois être grande, on me l'a dit, répété 43 fois dans tous les sens. Assumer mes choix, trouver un avenir, sortir de ma zone de confort et affronter la vraie vie. La « vraie vie », c'est comme ça qu'ils appellent leur monde, celui des grands tu sais. Celui qui d'un coup nous est offert quand on passe les 18 bougies sur le gâteau d'anniversaire, alors qu'il nous était formellement interdit avant. Interdit et semblait beaucoup trop inatteignable. Pi c'était tant mieux. Autant il m'intriguait autant je flippais à l'idée de grandir. A l'idée de voir ma vie se rétrécir peu à peu, comme si je distinguais un peu plus à chaque fois la fin du chemin. Je sais pas, j'aimais ce sentiment de liberté à la con. J'ai toujours été nostalgique, de tout. De mon visage de toute petite gamine, de ces vieux souvenirs qui reviennent parfois en mode ninja et de cette innocence improbable qui m'entourait sans que je m'en rende compte. Enfance heureuse, à mille pourcent. J'ai pas de quoi me plaindre, j'étais une gamine comblée. Rêveuse, qui inventait une nouvelle galaxie chaque seconde. Qui avait pas peur, de rien. Ni même des orages. Je te jure j'avais pas peur, je restais les bras croisés devant ma fenêtre le soir quand la foudre tombait tout proche et je l'affrontais avec mon regard super puissant pour lui prouver que j'étais plus forte que lui. J'avais besoin de ça, de prouver les choses. De les assurer, les répéter, pour qu'on comprenne bien. Fallait qu'on me comprenne bien.

Toutes ces années d'insouciance je les aimais bien moi. Et ça me fait peur « la vraie vie » comme on dit. Même si ma petite moi aurait sûrement assurer ne pas flipper du tout. Elle flippait jamais la petite moi. C'était une sacrée warrior.

Je sais pas ce que je vaux. Je sais pas ce que je suis capable de faire. Les soirs, quand je me regarde dans mon miroir en essayant de trouver un quelconque intérêt pour ma personne je me questionne sur mon avenir. Suffisamment pour en avoir le tournis et me jeter en boule dans mon lit. Tu vois le genre ? J'en arrive toujours à une conclusion plutôt décevante. Parce que je me sens pas capable de grand-chose, même quand j'essaie d'y réfléchir super fort. Je trouve pas et je te jure que je cherche. Je cherche jusqu'à ce que je me mette à chialer en me regardant droit dans les yeux, pour me prouver que je ne suis qu'une pauvre gamine. Une pauvre gamine qui voulait pas grandir. Pas trop.
Pi j'essaie encore de croire que je suis la seule, histoire de me trouver une sorte d'individualité, de personnalité, comme si j'étais unique dans cette galère et ce flippe de la vie. Je sais que c'est pas original d'avoir peur comme une pauvre petite fille les lundis soirs à 22h20, mais faut croire que chui comme ça. Pas original. Comme tout le monde.

Pourtant t'imagines pas à quel point la petite moi aurait détesté être comme tout le monde. Il lui a fallu tellement de temps pour accepter le mot « différente » qu'utilisait son entourage pour la définir qu'elle ne peut plus imaginer être comme tout le monde aujourd'hui. Tu suis ?
Chai pas si ça veut dire quelque chose. Je sais pas si je veux dire quelque chose, et comme tu peux le deviner, j'en doute fortement.

Ce dont je rêve super fort c'est me voir, dans plusieurs années et m'entendre me répéter « mais qu'est-ce que t'étais con de flipper autant pour un truc aussi débile que la vie » en souriant. « Parce que c'est débile la vie »

Et je répéterai mes mots sûrement, pour qu'on me comprenne bien.

Parce qu'il a toujours fallu qu'on me comprenne bien.

Parce que ça a toujours été important pour moi de répéter mes phrases. Je sais plus si je l'ai dit déjà, sûrement. Mais c'est histoire d'entendre un peu mieux, un peu plus.

Alors on sait jamais, répétons nos mots cent fois s'il le faut et provoquons l'orage avec notre regard puissant depuis la fenêtre de notre chambre. Sur un malentendu on comprendra tout d'un coup. Comme par magie.

Il est sûrement magique ce monde des grands, cette « vraie vie » remplie d'opportunités et de chance à saisir. Faut juste y croire et ouvrir grands les yeux. Prendre tout ce qu'il y a à prendre sans jamais se lasser et se laisser guider par l'imprévu. Se laisser surprendre, se faire avoir et recommencer un peu naïvement. Je pense qu'il faut faire ça, c'est ce qu'on dit en tout cas, ce qu'on répète tous en cœur un peu tout le temps sans trop y réfléchir. On est pas très original.

Et pi de toute façon.

On est pas sérieux quand on a 18 ans.  

« Un grand »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant